Monet, Monet, Monet…

Monet, ce n’est qu’un oeil,
mais quel oeil !

Paul Cézanne

J’ai quelquefois du mal à aborder des expositions magistrales comme celle que le Grand Palais consacre cet automne à Claude Monet. On a l’impression qu’on connaît déjà par cœur, qu’on ne pourra plus avoir aucun plaisir de découverte : soixante ans de peinture, pilier de l’impressionnisme, fournisseur intarissable de produits dérivés pour les boutiques de musée, les calendriers et les cartes postales. Et puis ça ne se passe pas comme ça…

Alors bien sûr, les conditions ne sont pas idéales, l’affluence est énorme, même à des horaires inhabituels (pour moi le créneau de 21 h). Dans le cas de Monet, le nombre de personnes qui se pressent devant les tableaux est d’autant plus problématique que ceux-ci demandent à être regardés à une certaine distance. Par contre, il est formidable de voir « en vrai » certaines œuvres qu’on ne connaissait que par reproductions, tant les nuances sont subtiles et les lumières étonnantes. Je pense par exemple aux paysages de neige comme La Pie.

Claude Monet : La Pie (1868)

On y voit donc aussi les grandes « séries » de peintures sur un sujet unique que Monet a réalisées, les meules, les bords de Seine, la cathédrale de Rouen. En fait ce qui m’a frappée surtout, sans doute parce que l’exposition Turner du printemps dernier est encore relativement fraîche dans ma mémoire, c’est la parenté entre certaines œuvres de Monet et celles de Turner dans la manière de traiter la lumière. Ainsi l’exposition actuelle contribue à confirmer la place de Turner comme précurseur de l’impressionnisme. Monet était allé en Angleterre pour la première fois en 1870. Il avait eu l’occasion d’y admirer les œuvres de Turner, notamment des scènes de brouillard sur la Tamise à Londres. Il avait aussi rencontré, à cette occasion, le peintre américain Whistler, également influencé par Turner, avec lequel il s’était lié d’amitié.

Ce que Monet avait vu à Londres l’incita à y revenir plusieurs fois. Lors de séjours de 1899 à 1901, prolongés par son travail en atelier jusqu’en 1904, il peignit une autre série, de près d’une centaine de tableaux, sur le thème du brouillard londonien. Le Grand Palais avait d’ailleurs monté en 2004 une exposition « Turner/Whistler/Monet » afin de montrer les relations et l’évolution entre les premiers tableaux de Monet inspirés par la Tamise, en 1871, et les « séries » qu’il peignit à Londres en 1899-1901 (avec les motifs du pont de Charing Cross, du Parlement et du pont de Waterloo) à la lumière de nombreuses peintures, aquarelles et gravures de Turner et de Whistler. Une même confrontation mettait en présence des œuvres réalisées par les trois maîtres à Venise, où Monet se rendit en 1908 : les vues que ce dernier peignit alors des palais du Grand Canal et de l’île San Giorgio Maggiore évoquent directement celles de Londres exécutées quelques années auparavant…

Claude Monet : La Tamise à Westminster (1871)

Le site de l’exposition

Le théâtre libérateur de Dario Fo

« Tu sais ce que c’est l’horizon ? Voilà, tu ne dois pas avoir peur,
la route est toujours là, il suffit de savoir la voir.
En ce moment nous sommes dans l’obscurité, je te l’accorde,
nous sommes ou nous devrions être assommés,
parce que c’est ainsi qu’ils nous veulent. Et c’est vrai que
nous le sommes un peu. Il ne faut pas perdre sa boussole et sa lucidité.
Souvenons-nous que tout dépend de nous, toujours de
nous. En attendant, rions, cela nous servira. »
Dario Fo, Conversation avec Toni Jop, L’Unita, le 10 juin 2010.

 

Acteur dans la vie et sur les planches de tous les combats politiques et sociaux en faveur des humbles et des opprimés, pilier du théâtre populaire italien, prix Nobel de littérature en 1997 pour avoir « dans la tradition des bateleurs médiévaux, fustigé le pouvoir et restauré la dignité des humiliés », Dario Fo n’a pas toujours fait l’unanimité, notamment au sein de l’intelligentsia, en France et ailleurs.

Depuis les années 90 le mouvement du teatro-narrazione relatant des évènements d’histoire et de mémoire collective tragiques peut être considéré comme un avatar contemporain du théâtre de monologues de Dario Fo et de son projet culturel et politique.

L’œuvre de ce fabulatore avance souvent masquée. Censuré, faisant l’objet de nombreux procès, voire même emprisonné, l’auteur de Mystère Bouffe ou de Récits de Femmes s’inscrit depuis un peu plus de 50 ans dans la droite ligne de la commedia dell’arte. Son œuvre est forte, radicale, politique, à la manière d’un Molière.

Le rire a toujours été l’ennemi des pouvoirs, il a été et reste le grand projet libérateur et subversif de ce jongleur de mots et de sens. C’est ce que L’Œil Bistre aura la joie de vous faire partager lors de sa prochaine lecture. (Emmanuelle Flamant)

La prochaine séance de lectures de L’Œil Bistre aura lieu le dimanche 14 novembre à 17 h à l’Apostrophe, 23 rue de la Grange-aux-Belles, 75010 Paris – stations de métro : Jacques Bonsergent (ligne 5) ou Colonel Fabien (ligne 2). Tel. 01 42 08 26 07

Méditation pour un dimanche de pluie


I. DE toutes les choses du monde, les unes dépendent de nous, les autres n’en dépendent pas. Celles qui en dépendent sont nos opinions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinations, nos aversions ; en un mot, toutes nos actions.

II. CELLES qui ne dépendent point de nous sont le corps, les biens, la réputation, les dignités ; en un mot, toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions.

 

III. LES choses qui dépendent de nous sont libres par leur nature, rien ne peut ni les arrêter, ni leur faire obstacle ; celles qui n’en dépendent pas sont faibles, esclaves, dépendantes, sujettes à mille obstacles et à mille inconvénients, et entièrement étrangères.

IV. SOUVIENS-TOI donc que, si tu crois libres les choses qui de leur nature sont esclaves, et propres à toi celles qui dépendent d’autrui, tu rencontreras à chaque pas des obstacles, tu seras affligé, troublé, et tu te plaindras des dieux et des hommes. Au lieu que si tu crois tien ce qui t’appartient en propre, et étranger ce qui est à autrui, jamais personne ne te forcera à faire ce que tu ne veux point, ni ne t’empêchera de faire ce que tu veux ; tu ne te plaindras de personne ; tu n’accuseras personne ; tu ne feras rien, pas même la plus petite chose, malgré toi ; personne ne te fera aucun mal, et tu n’auras point d’ennemi, car il ne t’arrivera rien de nuisible.

 

Épictète, Manuel, livre 1

 

Image de Rico Wack

 

Des hommes et leurs dieux


J’ai attendu plusieurs jours pour que ça se décante dans ma tête. Je voulais écrire quelque chose qui soit à la hauteur du sujet et je ne suis pas sûre d’y parvenir. Il s’agit du film, devenu célébrissime en quelques semaines, de Xavier Beauvois Des hommes et des dieux. Et d’ailleurs pourquoi ce film remporte-t-il un si grand succès et pourquoi est-il l’objet d’un tel consensus ? Il me semble que ces deux faits réunis ont beaucoup à dire sur notre époque et que le film vient en quelque sorte répondre à un besoin confus et inexprimé, mais réel.

Il n’est pas nécessaire de revenir sur le sujet, une histoire tristement vraie que tout le monde connaît, à moins d’avoir passé les trois derniers mois (les six, même, depuis le festival de Cannes) en hibernation complète dans le coin le plus reculé de la Périsylvanie orientale. Deux mots seulement sur la manière dont elle est rendue par le réalisateur. Simplicité, sincérité. Scènes répétitives (jusqu’à susciter par moments une ombre d’ennui) destinées à faire percevoir le mode de vie des huit moines dans leur petit monastère de montagne.

Cette montagne superbe où l’on voit bien que le climat est rude, qu’il fait froid. Le monastère est situé à flanc de coteau et de là, le paysage s’étend à perte de vue, venant même distraire le frère jardinier dans ses travaux. Paysage ouvert qui témoigne en images de l’ouverture des moines sur le monde qui les entoure et dont ils font partie. (J’ai eu du mal à trouver des photos qui puissent donner une idée de ce paysage de l’Atlas).

L’interprétation est absolument parfaite, Michael Lonsdale (absolument magistral) et Lambert Wilson en tête, mais tous mériteraient d’être nommés un par un, tant ils font exister avec naturel ces hommes obstinés, chacun avec son caractère, avec ses forces et faiblesses. Leur décision de rester sur place, contre toute prudence, décision longuement mûrie, décision qui leur coûtera la vie, sert-elle vraiment à quelque chose ? Je crois qu’elle sert surtout à donner du sens. Ces hommes sont venus là pour donner un sens à leur vie – et comme elle n’en a pas a priori, on n’a pas d’autre alternative que de tenter de lui en donner un. (C’est ce que je pense moi, pas ce qu’ils pensent eux, puisqu’ils ont la foi, même s’il leur arrive de douter. En ce qui me concerne, je suis athée les jours impairs, agnostique le reste du temps, avec néanmoins un appétit certain de spiritualité.)

Contrairement à mes habitudes, qu’il est bon de contrarier parfois, je n’ai lu aucune critique sur ce film dans la presse. Je voulais l’aborder sans autres préjugés que les miens propres.

(source image Atlas)

De Paris à Moscou sans transition

 

Paris/Moscou, ce fut il y a pas mal de lustres (1979) le titre d’une grande exposition tenue au Centre Pompidou (après Paris/New York et Paris/Berlin). Aujourd’hui l’exposition collective Paris/Moscou/Photographies retrace l’histoire de dix ans d’échanges en résidence entre artistes russes et français et se tient à la Cité Internationale des Arts – qui se trouve rue de l’Hôtel de Ville, pas loin de la Maison Européenne de la Photo.

 

Un lieu plutôt ingrat, un immeuble sans âme, de grandes salles au carrelage gris, mais un bel accrochage, où chacun des treize – si j’ai bien compté – photographes est représenté par une dizaine d’œuvres, et certaines sont de grande taille, comme les architectures urbaines et les sites industriels vus par Stéphane Couturier. Assez de diversité dans leurs styles pour ne pas distinguer vraiment de tendance générale. Pourtant je suis frappée par le fait que plusieurs d’entre eux choisissent de photographier une ville, Paris ici, Moscou là, vide de ses habitants…

 

Ce n’est pas le cas de Vladimir Mishukov qui propose de belles images en noir et blanc, scènes de rues et de cafés, qui font penser (moi en tout cas) à Doisneau ou à Willy Ronis. J’ai eu du mal à trouver des images sur le Net pour illustrer cette note, mais on peut aller y voir une superbe série réalisée par Mishukov sous le titre Le Culte de la Famille.

 

Photo de Vladimir Mishukov - ne faisant pas partie de l'expo

 

Les photographes :

  • Luc Boegly // Stéphane Couturier // Thibaut Cuisset // Vincent Debanne // Sandrine Elberg // Florent de la Tullaye
  • Dmitry Bulnygin // Julia Bychkova // Vladimir Mishukov // Igor Mukhin // Georgy Pervov // Alexandre Ponomarev // Dmitry Zheltikov

Image de Mishukov provenant du site d’Anton Mihailovskiy


Dans la nuit des bibliothèques

Les livres ont les mêmes ennemis
que l’homme : le feu, l’humide, les bêtes,
le temps ;  et leur propre contenu.
(Paul Valéry)

 

Superbe et austère, la Bibliothèque Administrative de la Ville de Paris accueillait jeudi 7 octobre l’écrivain canado-argentin Alberto Manguel pour une conférence sur le thème de « la bibliothèque idéale ». La BAVP qui est située au 5e étage de l’Hôtel de Ville, sous les toits, a rouvert depuis quelques semaines après travaux.

Conçue par l’architecte Édouard Deperthes, elle offre l’un des meilleurs exemples d’architecture de bibliothèque de la fin du 19e siècle. D’une superficie de 600 m², elle reçoit la lumière naturelle par des panneaux de verre situés à 9,60 m de hauteur. Inscrite avec son mobilier d’origine (tables, chaises, luminaires) à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, elle a fait l’objet d’une 1e restauration complète en 1993. (source Mairie de Paris)

Le texte qui suit est librement inspiré des paroles prononcées par Alberto Manguel.
Vaine illusion : il n’existe pas de bibliothèque idéale. Toute bibliothèque doit avoir un ordre, mais (bibliothécaires, n’écoutez pas…) pas nécessairement structuré de façon logique.

Deux monuments nous définissent en tant qu’ « animaux lecteurs » : la Tour de Babel et la Bibliothèque d’Alexandrie. Toute bibliothèque représente le rappel de ces deux aspirations irréalisables, rassembler toutes les langues et tous les livres.

A propos de la Bibliothèque d’Alexandrie, Manguel rappelle la Lettre d’Aristée sur origines – dans laquelle le pharaon Ptolémée, fondateur de la bibliothèque, écrit à tous les rois pour qu’ils lui envoient tous les livres. Aujourd’hui le temps a amplifié notre ambition : la bibliothèque du Congrès, à Washington, reçoit un million de volumes par an…

La Bibliothèque d’Alexandrie témoignait de l’infinie variété de l’univers et de l’ordre secret de cette variété. L’architecture tacite de cette bibliothèque continue à hanter nos rêves de bibliothèque idéale. « On enrage de ne pouvoir dire à quoi elle ressemblait… » On n’en retrouve en effet aucune description chez les chroniqueurs, pas même Strabon. En outre, elle a entièrement disparu (fin 7e siècle), et on ne sait rien de sûr des circonstances de cette disparition.

Les sources sont extrêmement limitées et les positions des historiens tout aussi tranchées les unes que les autres. La seule certitude est qu’aucune trace matérielle de la bibliothèque d’Alexandrie n’a été, à ce jour, identifiée ou retrouvée. L’absence d’élément matériel met donc les chercheurs dans l’impossibilité de valider, infirmer ou corroborer les dires des sources qui, au fil du temps, ont pu être manipulées, incomprises ou interprétées (dans un sens ou un autre). (Wikipedia)

Tout ce qu’on sait encore, ce sont ses raisons d’être, cette quête d’immortalité – pour aussi longtemps qu’il y aura des lecteurs. Chaque lecteur existe afin d’assurer à un livre une modeste immortalité. Chaque lecture est la première.

 

Alberto Manguel en 2008 à Montréal

 

Aujourd’hui le Web, la Toile comme dit Manguel (en bon Canadien qui ne parle pas franglais), est notre équivalent de la mare incognitum des Anciens… trop vaste pour notre entendement (et on tend à confondre l’incompréhensible avec l’éternel), volatile comme la mer (70 % des données ont une durée de vie inférieure à 4 mois) et entraînant le besoin de bonnes cartes de navigation. Sa grande vertu, son pouvoir constant d’actualisation, nous plonge dans un présent continu – ce qui, au Moyen Age, constituait une bonne définition de l’enfer.

Jorge Luis Borges (dont Alberto Manguel fut le secrétaire) a imaginé la bibliothèque illimitée comprenant non seulement tous les livres existants, mais aussi tous les livres possibles – mais elle existe déjà et ça s’appelle le monde.

Le texte électronique peut accompagner le livre papier sans l’exclure : « l’imagination humaine n’est pas monogame ». La rivalité entre le livre papier et le livre électronique est artificielle et fomentée par des entreprises commerciales qui y trouvent leur intérêt.

Les bibliothèques sont la preuve de notre foi dans un ordre universel – ce cosmos chargé de sens et fait de mots, « chaotiquement cohérent », mais aucune bibliothèque ne peut créer un vrai monde. Ce qu’elle nous offre, c’est toujours une image du monde réel, avec la mémoire de quelque chose dont un conte a pu susciter l’intuition.

Alberto Manguel a ensuite prononcé une diatribe contre la puissance du monde financier, constatant que nous faisons seulement semblant de soutenir les institutions culturelles ; qu’il s’avère urgent de chasser les marchands du Temple, et de lutter contre ceux qui se demandent à quoi sert de lire la Princesse de Clèves… A l’opposé, il évoque le « biblio-âne », équivalent du bibliobus en Colombie, qui va porter la lecture aux villages les plus démunis.

Manguel dit avoir tiré de son propre livre La Bibliothèque, la nuit une partie de la matière de cette conférence. Lui-même possède une bibliothèque de 35 000 ouvrages. « Mais la nuit, quand les lampes sont allumées dans la bibliothèque, le monde extérieur disparaît et rien n’existe plus que cet espace rempli de livres. »

Source images : BAVP, Mairie de Paris ; Manguel, site canadien Nouvelles livres

Le regard de Raymond Depardon


Raymond Depardon a réalisé des reportages photographiques et des documentaires remarquables sur des pays lointains, mais c’est aussi un des photographes qui ont le plus et le mieux regardé et donné à voir l’image de la France dans les dernières décennies du 20e siècle et en ces années 2000. En particulier, il a scruté l’évolution du monde rural : on se souvient entre autres de ses Profils paysans… L’exposition qui vient de commencer à la BNF (pour une fois, j’y suis allée dès le début) sous le titre de La France de Raymond Depardon en témoigne aujourd’hui.

Depardon avec sa chambre mystérieuse

« Pour la BNF à Paris, le photographe a répondu à une commande publique ambitieuse : dresser un état des lieux photographiques du territoire français, à l’aube du 3e millénaire. Il est parti sur les routes pendant 6 ans, de 2004 à aujourd’hui, deux à trois mois par an, pour photographier la France des bords de mer, de l’arrière-pays, et de l’intérieur. 70.000 kms parcourus, 21 régions, 65 départements traversés. Cet infatigable reporter, avec son camping-car et un appareil qu’on appelle une chambre photographique, un écran de 20 cm sur 25, s’est installé dans l’espace public de petites villes ou de zones périurbaines. Au final, 7000 négatifs dont il a tiré 36 immenses formats argentiques, de 1,60 m sur 2 m, auparavant longuement retravaillés au numérique. 36 photos aux couleurs vives, accrochées très serrées, dans une salle close, une sorte de plongée frontale dans un territoire français qui nous est familier. » (article de France Info)

 

« J’ai visité des lieux très différents, où parfois l’histoire n’a rien de commun d’un “pays” à un autre, dit le photographe. Cette distance que je me suis imposée, techniquement et formellement, m’a permis de passer au-dessus des spécificités régionalistes et d’essayer de dégager une unité : celle de notre histoire quotidienne commune. »

« Au noir et blanc contrasté, à la profondeur de champ vibrante d’humanisme de ses œuvres antérieures, il préfère ici la frontalité à la chambre, la couleur, la lumière unique, neutre, délicate et sensible. Les humains s’éclipsent parfois, mais il photographie en premier le paysage et poursuit sa recherche : « observer les traces de la présence de l’homme qui par son intervention au fur et à mesure de l’histoire a modifié le territoire. » (présentation par la BNF)

 

 

Ces grands formats déclenchent de fortes impressions. Les couleurs sont souvent vives, voire criardes. Les images sont généralement vides de personnages : il me semble que ce que le photographe a voulu montrer, c’est plutôt l’évolution d’un paysage que celle d’une société, même si l’une reflète l’autre. Ce sont des vues de petites villes et villages, quelques images de campagne, beaucoup de carrefours.

 

Au sortir de la grande salle et de cette immersion totale dans les images du territoire français, on accède à des espaces plus resserrés, où l’on peut découvrir les influences dont se réclame Depardon : Walker Evans et Paul Strand, avec leurs images de la « ruralité américaine », mais aussi Atget et Wyeth.

 

Un aperçu des travaux antérieurs de Depardon sur le territoire français (photos en noir et blanc de Corse, Alpes Maritimes, Nord/Pas-de-Calais…) et de son travail dans le cadre de la fameuse mission photographique lancée en 1984 par la Datar.

 

Et aussi des traces de son parcours pour cette nouvelle collecte, avec ses cahiers de repérages (une trentaine de « cahiers de travaux pratiques » grand format, marque Oxford ou Le Conquérant), cartes, agendas…

 

NB : Le livre qui sort en même temps sous le même titre que l’expo n’est pas un simple catalogue, il contient des images beaucoup plus nombreuses et diverses.

 

— En contrepoint : voir aussi l’exposition « France 14 », le long de l’allée Julien Cain de la BNF – les projets de quatorze jeunes photographes qui montrent les « territoires pluriels » de la France et ses diversités.

 

 

source images

 

 

 

Bric-à-brac

 

"Toy Spade" - Photo de Ian Britton - site Freefoto

 

  • Définition du persiflage : action de saupoudrer un plat de persil haché cru.
  •  

  • Vu un gros bonhomme mal fagoté dans une chemise jaune et un pantalon noir quelconques. En toge, ou en boubou, il n’aurait pas manqué d’une certaine majesté. Cette époque, ou ce lieu, manque d’allure.
  •  

  • Petit lipogramme en e :  Que fer ? Geler le legs, dérégler les mets de fête, peler les nerfs, perler les rêves, dépecer le clergé rebelle.
  •  

  • Casanova, citant Pline le Jeune (lettre à Tacite : Lettres VI, 16) dans la préface à son Histoire de ma vie : « Si tu n’as pas fait des choses dignes d’être écrites, écris-en du moins qui soient dignes d’être lues. »
  •  

  • Pancarte vue sur un magasin « Liquidation totale avant fermeture définitive ». Est-ce à dire qu’on va tuer tout le monde et puis s’en aller ?

Journaux du dimanche

Tout journal, de la première ligne à la dernière,
n’est qu’un tissu d’horreurs. Guerres, crimes, vols,
impudicité, tortures, crimes de princes, crimes des nations,
crimes des particuliers, une ivresse d’atrocité universelle.

Charles Baudelaire

 

Εn Grèce les kiosques à journaux vendent toutes sortes de choses : cigarettes, bonbons, chocolats, boissons, dentifrice, tickets de métro, etc, etc.

 

Je viens de passer une quinzaine de jours en Grèce, et j’en ai rapporté un peu de lecture. Comme dans les pays anglo-saxons, le dimanche, on vous donne avec le journal une quantité invraisemblable de suppléments. Pour peu qu’on en achète plusieurs, il faudrait quasiment une brouette pour les rapporter : les uns au format du journal, suppléments livres, économie, voyages, sciences, etc. les autres carrément au format magazine. Ces derniers contenant une bonne quantité de pubs, mais pas que. Et pour quelques drachmes de plus (non je plaisante, la Grèce est dans le système monétaire euro) vous avez aussi un CD audio et un film en DVD en prime…

D’ailleurs on vous donne aussi avec le journal une palanquée de dépliants et brochures publicitaires, le tout emmailloté sous film polyéthylène. La première tâche étant de faire le tri, en espérant que tout ce papier inutilement imprimé (je parle évidemment des documents publicitaires) sera recyclé (oui, la Grèce pratique elle aussi le tri sélectif, en ville du moins…) et en demandant pardon aux arbres.

 

La Une de l'édition dominicale du journal Eleftherotypia

 

Cela me fait rêver d’avoir ici aussi des journaux du dimanche avec des masses de suppléments. Je me ferais un super brunch et avec deux ou trois montagnes de choses à lire, je pourrais considérer ainsi le dimanche avec un peu plus de bienveillance.

Theophilos, le naïf de Mytilène

Passant quelques jours à Athènes – où évidemment on se croirait encore en été –  je suis allée au musée Benaki voir une exposition consacrée au peintre naïf Theophilos.

La date de naissance exacte de Theophilos est inconnue. Cependant, on le croit né entre 1867 et 1870 à Varia, un village de l’île de Mytilène, où son père, Gabriel Kefalas, était cordonnier. (J’ignore pourquoi on le désigne en grec sous le nom de Theophilos Hatzimihail, c’est-à-dire le patronyme de sa mère.) Il semble que Theophilos ait montré dès sa jeunesse un intérêt particulier pour la peinture ; mais aussi qu’il ait fait l’objet de moqueries parce qu’il était gaucher, qu’il bégayait et qu’il aimait s’habiller avec le costume traditionnel grec (la jupette dite « fustanella » des evzones).

À l’âge de 18 ans, il quitte son île natale et va travailler en tant que portier au consulat grec de Smyrne. Il y reste plusieurs années, avant d’aller s’installer vers 1897 dans la ville de Volos, recherchant des travaux occasionnels et dessinant dans les maisons et les magasins – des peintures murales dont certaines existent encore aujourd’hui. Il passe ainsi la majeure partie de son existence dans cette région du Pélion, et il bénéficie de la protection du propriétaire terrien Giannis Kontos, dont la maison est devenue un musée Theophilos. A part la peinture, Theophilos s’intéressait au théâtre et il a organisé des représentations populaires pour des cérémonies nationales. Dans la période du carnaval, il s’habillait en Alexandre le Grand, ou en héros de la Révolution grecque de 1821, avec des costumes qu’il faisait tout seul. On possède de nombreuses photos de Theophilos dans ses déguisements patriotiques et c’est ainsi que le peintre Yannis Tsarouchis l’a représenté.

En 1927 il retourne à Mytilène, où il continue à peindre, réalisant beaucoup de peintures murales dans les villages, pour un maigre salaire, habituellement – à ce qu’on raconte – une assiette de nourriture et un verre de vin. De nombreux travaux de cette période ont disparu. En 1929, il rencontre le critique d’art éditeur renommé Stratis Eleftheriadis (Tériade), également originaire de l’île, qui fera beaucoup par la suite pour la notoriété internationale de Theophilos, faisant notamment entrer plusieurs de ses œuvres au Louvre. Le peintre meurt en 1934. Tériade a également financé le musée Theophilos ouvert en 1964 à Varia.

Theophilos peignait des scènes historiques ou mythologiques, des scènes tirées de cartes postales et lithographies ou photographies anciennes, des paysages et des images de la vie quotidienne à la campagne en Grèce. Il s’est inspiré par exemple du grand poème Erotókritos (en grec Ερωτόκριτος) composé par le poète crétois Vitsentzos Cornaros au début du XVIIe siècle.

Theophilos : Erotokritos et Aretousa

Les œuvres de Theophilos ont le charme et la fraîcheur des vrais naïfs, mais je suis un peu restée sur ma faim, car l’exposition ne comprenait qu’une vingtaine d’œuvres sur papier. Il faudra un jour que j’aille voir ce qui reste à Mytilène ou à Volos de ses peintures murales.