Makronissos, hier et aujourd’hui

 

« La poésie n’a jamais le dernier mot
Le premier, toujours
 » (Yánnis Rítsos)

 C’est peut-être une question de « devoir de mémoire », mais pas seulement. Le film documentaire d’Olivier Zuchuat Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit évoque le triste souvenir de Makronissos. Quand « île grecque » n’est pas forcément synonyme de « vacances au soleil »… En voyage en Grèce en 1955, Albert Camus note lors de son passage à Sounion : « parfait, sauf cette île en face de Makronissos, aujourd’hui vide il est vrai, mais qui a été une île de déportation dont on me fait d’affreux récits » (Carnets, IV, 1223).

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Entre 1947 et 1951, plus de 80 000 citoyens grecs ont été internés cet îlot aride situé non loin de la côte Sud de l’Attique. C’était l’époque de l’affreuse guerre civile qui a suivi en Grèce la 2e guerre mondiale, sous le règne du roi Paul 1er. L’objectif du gouvernement grec était essentiellement la « reprogrammation mentale » des résistants communistes dont le parti était désormais interdit. (Concrètement, le camp de Makronissos a été soutenu par des fonds du plan Marshall, en application de la doctrine Truman. Le premier camp de l’île a été mis sur pied par les troupes britanniques, qui y ont emprisonné le 2e bataillon de l’ELAS – Armée populaire de libération nationale, qui avait mené la Résistance).

Parmi ces déportés se trouvaient de nombreux écrivains et poètes, dont Yannis Ritsos et Tassos Livaditis. Malgré les privations et les tortures, ces exilés sont parvenus à écrire des poèmes qui décrivent leur (sur)vie dans cet univers concentrationnaire. Ces textes, parfois grâce à l’aide de gardes complices, ont pu être conservés ou retrouvés. (Le recueil de poèmes de captivité de Ritsos a été publié en français par les éditions Ypsilon).

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Le film alterne la récitation de ces écrits poétiques avec des discours de rééducation politique qui étaient diffusés en permanence dans les haut-parleurs des camps. « J’ai voulu confronter les images mentales nées de la lecture de ces poèmes aux images du présent, celles des ruines des camps de Makronissos, déclare le réalisateur. Chercher dans ces amas de pierres et de béton des empreintes de ce qui s’y est passé, les confronter aux mots de poèmes, dans un travail d’archéologie cinématographique. » Les images des maigres ruines, écrasées par le soleil, parfois escaladées par quelques chèvres, sont montrées grâce à des longs et lents travellings, et entrecoupées d’archives photographiques. Aucune musique, mais le bruit obsédant du vent (et Dieu sait s’il peut être fort dans les Cyclades…) et quelques cris de mouettes. Aucune présence humaine – sauf, de loin, un jeune pêcheur, les pieds dans l’eau.

Olivier Zuchuat s’est posé les bonnes questions. « Comment réinscrire dans un paysage d’une telle beauté la violence des faits qui se sont déroulés sur l’île ? » En fait la beauté éternelle du paysage grec ne fait que renforcer la puissance de son propos. Son film est un modèle de sobriété et de justesse.

Le camp de Makronissos a finalement fermé à la fin des années 50 mais le régime des colonels a repris la tradition et converti d’autres îles à la même fonction. Aujourd’hui, l’île est abandonnée… Au début de 2013, signale le cinéaste, des membres de l’Aube Dorée, le parti néo-nazi grec, ont proposé sur une page facebook de rouvrir les camps de Makronissos pour y placer « toute la gauche grecque »… Sans commentaire.

Entre ciel et terre

Météora, film de Spiros Statholopoulos

Est-ce en raison des difficultés actuelles de la Grèce et pour s’en évader que le réalisateur a choisi une histoire aussi totalement intemporelle ? Au cœur du pays, en Thessalie, les monastères des Météores trônent depuis le 14e siècle sur des colonnes de grès vieilles de millions d’années, comme suspendus entre ciel et terre. Dans les vallées qu’ils surplombent, les cycles éternels de la vie paysanne contrastent avec le monde austère des religieux. Le moine Théodoros et la nonne Ourania ont voué leur existence à Dieu, mais une attirance grandissante les pousse l’un vers l’autre et ils se retrouvent déchirés entre dévotion spirituelle et désir charnel…

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On pourrait être aussi bien au Moyen Age ou au 19e siècle. Ce n’est que furtivement par un indice (un appareil employé par l’éleveur dans le processus d’écorchage du mouton mis à mort) que l’on saura être aujourd’hui. Pas une voiture, pas une machine. Des rituels sans âge, des systèmes primitifs comme ce filet au bout d’une corde, qui sert à remonter, vers le couvent de femmes, aussi bien une fournée de pains qu’une nonne, sortie de là par quel subterfuge ?

Le film, lent et répétitif à souhait (mais je ne déteste pas ça si c’est justifié…) ne raconte pas une histoire, il évoque une situation. Nous ne savons rien, ou presque, des deux protagonistes : elle est d’origine russe, lui s’intéresse aux musiques traditionnelles que joue un paysan à la flûte, c’est à peu près tout. Comment se sont-ils rencontrés, on n’en sait rien ; peut-être croisés dans une église (il semble que les religieux aillent à la même que les gens du village). Qu’adviendra-t-il d’eux, on n’en saura rien non plus. Ils communiquent de loin en s’envoyant des reflets lumineux à l’aide de surfaces métalliques (une nonne ne saurait avoir de miroir).

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Les paysages sont sublimes, écrasants par ce sublime même. Heureusement, le film est ponctué par des séquences réalisées en animation, dans le style des anciennes icônes ou même des mosaïques byzantines : scènes ludiques, légères et d’une beauté inattendue.

meteora-21016681_2013070111222381.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx(images Allociné et Wikipedia)

Pour l’amour de Salonique

 

couv Salonique, mon amour 16mm corr MS.inddSi je n’avais pas lu, en exergue de ce livre, la mention « fiction », j’aurais pu les croire authentiques, ces « lettres retrouvées d’Antoine d’Alençon, enseigne de vaisseau à l’armée d’Orient, à son amie Camille (mars 1916 – août 1917) ». L’une des plus grandes réussites de ce roman, puisque c’en est un, c’est en effet d’avoir reconstitué, de manière impressionnante, l’atmosphère d’une époque, avec sa langue (encore) châtiée, sa sentimentalité, son patriotisme. C’est un travail singulier que l’auteur, Robert Guyon, a ainsi accompli, appuyé sur une documentation historique sérieuse, et pourchassant attentivement le moindre anachronisme. Un autre tour de force, c’est d’être parvenu à rendre crédible un texte qui se présente comme un seul côté d’une correspondance. En effet, les lettres de Camille à Antoine ont été détruites (on apprend dans le roman dans quelles circonstances). Antoine doit donc en évoquer le contenu avec assez de précision pour que l’on puisse suivre l’enchaînement des événements auxquels il se réfère.

Je ne m’intéresse guère, à vrai dire, à la première guerre mondiale, car tout ce qui est militaire me rebute, et les états d’âme d’un jeune officier de l’armée d’Orient (mon ignorance est telle que j’ai dû consulter la Wikipedia pour savoir ce que c’était que cette armée) n’auraient pas suffi à m’attirer. Non, ce qui m’intéressait a priori dans ce livre, c’était l’évocation de Salonique. Thessaloniki, comme on dit en grec, une ville que je connais mal. Elle ne se trouve guère qu’à 500 km de distance d’Athènes, mais c’est déjà presque un autre univers. Je n’y ai passé que quelques jours, en 2006, mais Robert Guyon, lui, la connaît fort bien ; il y a vécu pendant sept ans.

Sur la "paralia" de Salonique (photo ELC)

Sur la « paralia » de Salonique (photo ELC)

A l’époque où se situe son livre, au début du XXe siècle, Salonique était une ville notoirement multiethnique ; elle comptait environ 120 000 habitants, dont 80 000 Juifs, 15000 Turcs, 15 000 Grecs, 5 000 Bulgares et 5 000 Occidentaux. (C’est encore Wikipedia qui m’apprend tout ça…) Elle était alors l’une des plus grandes villes de l’Empire ottoman et ne fut reconquise par la Grèce qu’en novembre 1912. Le roman évoque de manière précise cette cité en pleine mutation. Depuis la « petite maison de pêcheur » où habite Antoine d’Alençon, sur le rivage, il a « une vue cavalière sur tout le quai du Roi Constantin (que les Grecs appellent tout simplement Paralia, bord de mer), jusqu’à la Tour Blanche, dernier reste de remparts turcs sur la mer et sinistre prison, qu’on appelait naguère, non sans frémir, la Tour du Sang ; et plus loin encore, un quartier récent, relié au centre-ville par un tramway électrique flambant neuf, où s’égrènent devant la mer les villas prétentieuses à l’éclectisme architectural étonnant (…) »
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Au passage, un clin d’œil au film de Pabst : « Il n’est pas rare non plus que je me rende aux bureaux de la Sûreté française, car Salonique est un vrai nid d’espions, du moins le dit-on, un salmigondis de nations et d’intérêts divergents, un caravansérail où tout s’échange, se négocie, s’achète, se corrompt. » Mais il décrit tout aussi bien les rites de la fête de Pâques et la coutume de la promenade du soir sur le bord de mer, il apprécie la cuisine grecque et ne dédaigne pas le vin résiné, « trouble et sentant la térébenthine. Ne t’y trompe pas, accompagné de quelques petits poulpes au vinaigre, d’olives et de fromage de brebis, la feta parfumée à l’origan, c’est délicieux. » (J’ajouterai que l’on reconnaît l’ancien habitant de la Grèce en celui qui parle de partager avec ses amis « un kilo », et non un litre, de vin nouveau ; car c’est ainsi qu’on le dit là-bas…)

Le personnage principal, ce jeune officier donc, est à la fois acteur et observateur, il noue des liens avec la « bonne société locale » (il faut tout de même tenir son rang ; ses amis ne sont pas des pêcheurs et des cireurs de chaussures). Mais pour être honnête, il faut lui reconnaître une ouverture d’esprit. Il souligne par exemple : « Moi, je me sens comme un poisson dans l’eau avec toute cette macédoine de langues parlées en même temps, l’espagnol, le djido des Juifs émigrés d’Espagne au XVIe siècle, l’italien des familles, le grec qui s’impose peu à peu dans la rue et le turc. »
J’avoue avoir été relativement peu sensible à l’histoire d’amour entre Antoine et Camille, qui est pourtant le ressort essentiel de leur correspondance. C’est peut-être parce que le personnage de Camille est un peu évanescent, du fait que nous n’avons pas ses lettres à elle et que nous la voyons uniquement par les yeux d’Antoine. Mais finalement peu importe, car l’intérêt majeur du livre, à mon sens, n’est pas là, il est plutôt dans la recréation totale d’une époque et d’un lieu qui, grâce à des détails concrets, s’avère fortement évocatrice.

Biographie de l’auteur (selon le site de l’éditeur, la Société des Écrivains)
Robert Guyon, poète, voyageur, ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud, professeur agrégé de Lettres et formateur, a passé la plus grande partie de sa carrière à l’étranger, dont Salonique pendant sept ans. Son enfance s’est déroulée en Égypte puis en Provence avant Paris puis le Chili par cargo, prélude à bien d’autres voyages en mer. Ses recherches ont porté principalement sur la littérature, la psychanalyse et l’histoire de la Marine Marchande. À la retraite, il vit aujourd’hui à Villeurbanne, son dernier port d’attache.

PS : Le nom de Thessalonique

Thessalonique fut fondée par le roi Cassandre de Macédoine en 315 avant JC, et baptisée ainsi en l’honneur de sa femme à qui il offrit la ville. Le nom de Thessalonique, fille de Philippe II de Macédoine et demi-sœur d’Alexandre le Grand, provient de la contraction des mots Θεσσαλών (Thessaliens) et νίκη (victoire), voulant signifier la victoire sur les habitants de Thessalie.

Le nom de Salonique par lequel on la désigne souvent en français – comme si celui de « Thessalonique » était trop long – provient sans doute du nom de Selânik qu’elle portait sous la domination turque. (Il est vrai que les noms ou patronymes grecs sont souvent bien longs pour des oreilles françaises, comme celui du poète grec d’expression française Ioannis Papadiamantopoulos, qui s’est fait appeler, en France, Jean Moréas).

Étaient originaires de Thessalonique les saints orthodoxes Cyrille et Méthode, qui furent les évangélisateurs de la Russie ; et bien des siècles plus tard, Mustafa Kemal Atatürk, fondateur et le premier président de la République turque. Mais le grand homme là-bas, c’est bien sûr Alexandre le Grand, « Megalexandros » comme on dit en grec où le nom est contracté comme dans « Charlemagne ».

Les feux de la passion

On me pardonnera ce titre digne de la collection Harlequin : c’est pour la bonne cause, celle de la littérature. Je viens de lire, en une après-midi enflammée, les Feux de Marguerite Yourcenar. Une véritable révélation !

Jusqu’ici je n’avais lu, de cette Marguerite-là, que les Mémoires d’Hadrien, avec pour effet une sorte d’admiration froide, académique, devant le tour de force que représente ce livre. Depuis quelques mois, des recherches en cours m’ont amenée à lire d’autres ouvrages : Sous bénéfice d’inventaire, En pèlerin et en étranger, et les poèmes antiques de La Couronne et la Lyre. Mais rien ne m’avait préparée à la découverte de ce brûlot qui, écrit en 1935, ard encore avec la plus stupéfiante intensité.

Achille parmi les filles de Lycomède, par Nicolas Poussin (1656) Boston, Museum of Fine Arts (DR)

Achille parmi les filles de Lycomède, par Nicolas Poussin (1656)
Boston, Museum of Fine Arts (DR)

Au point de vue de la forme, c’est un livre hybride, où neuf récits brefs, tous (sauf un) basés sur des personnages de l’histoire ou de la mythologie grecque antique (parmi les plus connus : Phèdre, Achille, Antigone…), sont entrelardés avec des séries d’aphorismes sur les horreurs de la passion. Dans sa préface, Yourcenar elle-même parle d’une « série de proses lyriques ». Ce sont en effet plutôt des poèmes en prose.

On sait aujourd’hui que Feux fut marqué par l’amour malheureux de Marguerite Yourcenar pour André Fraigneau qui, lui, préférait les messieurs. Que ce soit dans ses cruels aphorismes ou sous le costume de ses personnages mythiques, la force de sa passion impressionne.

Et la manière dont ces mythes sont interprétés renvoie dos à dos le conformisme aveugle aux textes antiques et la transposition, parodique ou non, à d’autres époques – qui était fortement à la mode au moment où le livre fut écrit. L’auteur estime d’ailleurs que « la violence cabrée de Feux réagit consciemment ou non contre Giraudoux dont la Grèce ingénieuse et parisianisée [l]’irritait comme tout ce qui nous est à la fois entièrement opposé et très proche ». Yourcenar se situe, elle, dans une sorte d’intemporalité que ne dérangent pas certains anachronismes voulus et non gratuits. Textes âpres, violents – il y coule beaucoup de sang – durs comme le diamant, d’autant plus puissants qu’ils sont courts.

Je les ai dévorés à toute vitesse ; et ce n’était pas pour savoir ce qui se passe ensuite (ce qui est pratique avec les mythes, c’est qu’on connaît déjà l’histoire). Maintenant je veux y revenir et les mâcher soigneusement pour mieux les goûter.

PS. Dans son livre d’entretiens avec Mathieu Galey (Les Yeux Ouverts, éd. Centurion, 1980), Marguerite Yourcenar déclare : « Le mythe était pour moi une approche de l’absolu. Pour tâcher de découvrir sous l’être humain ce qu’il y a en lui de durable ou, si vous voulez un grand mot, d’éternel. »

Dans un abîme

 

La veille, bizarrement, il avait été question de chaos dans un séminaire de géographie littéraire auquel j’assistais. On nous avait dit (je n’ai pas pu trouver de référence vraiment probante, avis aux amateurs…) que l’étymologie du mot chaos, du grec χάος, était l’ouverture d’un abîme, voire la terre qui se fend pour vous engloutir…

 

C’est bien ce qui est arrivé aux Grecs ; nous les Gaulois avons peur que le ciel nous tombe sur la tête, eux c’est la terre qui se dérobe sous leurs pieds. Le film documentaire d’Ana Dumitrescu Khaos, les visages humains de la crise grecque donne à voir concrètement l’état des choses. Il se compose essentiellement de brefs entretiens avec des « vrais gens », rencontrés dans la rue, au café ou sur leur lieu de travail. Notre guide et mentor est Panagiotis Grigoriou, historien, anthropologue et auteur du blog (en français) Greek Crisis qui parle avec tous et, de temps en temps, ponctue de quelques commentaires.

 


Il y a celui qui pense à partir à l’étranger mais en tout dernier recours, parce que cela lui brise le cœur. Il y a celui qui lutte pour faire réintégrer les licenciés et respecter les conventions collectives (l’ouvrier du Pirée), estimant que ce combat doit faire exemple. Il y a une femme professeur d’arts plastiques qui voit arriver des élèves dont les parents n’ont plus les moyens de les nourrir : comment leur demander d’acheter du matériel de dessin ? Il y a cet agriculteur qui ironise « on continue à travailler par habitude ; sinon on est mort… » Il y a celle qui essaie de croire que la crise peut avoir des résultats positifs, en incitant les gens à penser et à vivre autrement ; mais c’est un propos bien isolé. Il y a Manolis Glézos, héros national de la Résistance, aujourd’hui député du parti Syriza, qui craint que la situation ne dégénère pour aboutir à un bain de sang ; mais les solutions qu’il propose sont bien utopiques…

 

Toutefois, le film n’est pas une analyse politique ou économique des causes de la crise et des moyens d’y remédier : c’est comme son nom l’indique un ensemble de témoignages sur la manière dont elle est vécue par les Grecs. C’est une Grèce que les touristes ne connaissent guère, celle des banlieues informes ou des modestes villages par où les voyageurs n’ont aucune raison de passer.

 

« Du marin pêcheur au tagueur politique, au rythme du jazz et du rap, sur les routes de Trikala en passant par Athènes et l’île de Kea, c’est un voyage à travers l’âme d’un pays qui vous emmène dans une réflexion sur la situation critique de la crise actuelle ». (dossier du film)

Article du Monde

L’éternité, c’est bien long

 

 

Je ne suis pas spécialement amateur des films d’Angelópoulos, bien que je le reconnaisse volontiers comme l’un des cinéastes grecs les plus marquants du 20e siècle. Car je le trouve souvent pesant, et son Alexandre le Grand m’a semblé l’un des films les plus ennuyeux qui soient… J’avais envie néanmoins de voir L’éternité et un jour (la musique sublime d’Eleni Karaindrou qui l’accompagne n’y est pas pour rien) et c’est chose faite.

 

On retrouve dans ce film les thèmes familiers au cinéaste et les constantes auxquelles il nous a accoutumés, particulièrement le fait de montrer quasi constamment un pays hivernal, sous la pluie ou dans la brume, au revers de l’image convenue d’une Grèce baignée de soleil. Même dans les souvenirs d’Alexandre, le personnage principal (Bruno Ganz), quand il se revoit petit garçon, dans la maison de ses parents au bord de la mer (et que sa fille, aujourd’hui, vient de vendre) la mer est plutôt grise que bleue et le soleil n’a rien d’éclatant.

 

Je me suis amusée ci-dessous à juxtaposer trois résumés du synopsis :

 

a) Alexandre, un grand écrivain, est sur le point de quitter définitivement la maison en bord de mer dans laquelle il a toujours vécu. Avant son départ, il retrouve une lettre de sa femme, Anna, qui lui parle d’un jour d’été, il y a trente ans. Pour Alexandre commence alors un étrange voyage où passé et présent vont s’entremêler. (Allociné)

 

b) Un dimanche de pluie à Salonique, Alexandre, un grand écrivain, s’apprête à quitter définitivement la maison sur la mer où il a toujours vécu. Il retrouve une lettre de sa femme, Anna. Elle lui parle d’un jour d’été, il y a trente ans. Pour Alexandre commence alors un étrange voyage ou passé et présent vont s’entremêler. Il rencontre un petit enfant albanais clandestin auquel il va faire passer la frontière. Il lui raconte l’histoire d’un poète grec. (Arte)

 

c) Un dimanche d’hiver à Salonique, en Grèce. Devant entrer à l’hôpital le lendemain, Alexandre, un vieil écrivain solitaire, trie ses papiers. Il exhume ainsi une lettre de sa femme Anna, décédée depuis longtemps, et prend conscience de l’amour qu’elle lui portait. Alexandre décide de donner cette lettre à sa fille. En chemin, il aide un petit Albanais à échapper à une descente de police. Plus tard, il retrouve le garçonnet et comprend qu’il est victime d’un trafic d’enfants. L’écrivain prend les malfrats en filature et leur achète le gamin, qui veut regagner son pays natal. Découvrant les cadavres gelés des fuyards sur le grillage barbelé qui marque la frontière, tous deux rebroussent chemin d’un commun accord… (Télérama)

 

Seul le résumé d’Arte fait allusion à un épisode qui m’a bien accrochée : « Il lui raconte l’histoire d’un poète grec ». De quoi s’agit-il ?

Portrait de Solomos, milieu du 19e siècle, auteur inconnu

 

« Avec beaucoup d’habileté, le cinéaste met en abîme l’œuvre d’un grand poète de la Grèce moderne : Dionýsios Solomós (1798-1857). En nous montrant l’exil extérieur de ce créateur, sa façon de renouer avec le langage de sa nation et ses réalités propres, Angelópoulos reflète l’exil intérieur du personnage principal. (…) [Mais] il ne suffit pas d’achever le fameux poème Missolonghi ou les Hommes libres assiégés (1844) pour être grec. (NDLR : il s’agit d’un poème laissé inachevé par Solomos, et dans le film, Alexandre a entrepris de le terminer.) Il faut vivre dans la Grèce contemporaine et respirer l’air qui y circule ! » Paul Beaucage, Ciné-Bulles, vol. 17, n° 3, 1998, p. 49-50.

Solomós est surtout connu pour avoir écrit en 1823 le poème Hymne à la liberté qui est devenu l’hymne national grec. Il est donc tout à fait curieux de voir, comme le montre Angelópoulos dans le film, que ce poète originaire de l’île de Zakynthos, envoyé très jeune en Italie pour y faire ses études, revint dans son pays natal en 1818 en maîtrisant la langue italienne mieux que la grecque. Alexandre (les héros d’Angelópoulos s’appellent invariablement Alexandre) raconte à l’enfant albanais l’histoire de Solomós, en précisant que celui-ci achetait des mots nouveaux pour enrichir son vocabulaire ; cette parabole qui semble plaire au gamin va servir de moyen de communication entre les deux personnages. Le poète apparaît d’ailleurs, en costume de son temps, dans la séquence où les deux voyageurs embarquent dans un vieil autobus, et leur récite quelques vers.

Manuscrit de Solomos

Images : affiche Allociné, portrait et manuscrit Wikipedia

Où va la Grèce ?

 

 

Je reviens d’une quinzaine passée en Grèce, qui a été particulièrement chaude, au sens propre (plus de 35° constamment avec un vent violent) comme au figuré (l’actualité électorale que l’on sait). Je n’y étais pas retournée depuis octobre dernier ; la situation, entre temps, a empiré, avec notamment des manques scandaleux, comme celui de certains services hospitaliers à fournir aux malades les médicaments nécessaires…

 

Le métro athénien, splendide et toujours nickel (pas un papier qui traîne), vide ce jour-là.

Je ne suis pas analyste politique et mon regard ne peut être que celui d’un observateur extérieur, indirectement impliqué par des relations personnelles avec ce pays. Les élections du 17 juin (à un seul tour) ont été précédées, pour beaucoup de Grecs, par une période de grande incertitude et d’anxiété : pour qui voter ? Toutes tendances confondues, ils étaient nombreux à renvoyer dos à dos la Nea Dimokratia et le Pasok, sans pour autant arriver à se décider pour l’option Syriza (le Front de gauche hellénique). Il faut dire que les partis « classiques » ont tout fait pour faire peur aux gens : Syriza, c’était au mieux le saut dans l’inconnu, au pire le bolchevik-couteau-entre-les-dents. Les débats, à la télévision, succédaient aux débats, personne n’écoutant personne (et c’est alors qu’a eu lieu l’épisode, répercuté en France, où un représentant du parti néo-nazi Aube Dorée a agressé physiquement deux députées). Les journaux télévisés consacraient 90 % de leur temps (insupportablement haché par des séquences publicitaires) à l’actualité électorale. La question d’une éventuelle sortie de la zone euro focalisait toutes les conversations.

A la sortie d’un tunnel routier à Athènes. A droite, slogans au pochoir du parti d’extrême-gauche Andarsya (Résistance). Les trois affiches annoncent un débat sur le thème « La rupture avec l’euro est-elle possible ? » A gauche, la pancarte est une publicité pour l’isolation des toits en terrasse.

 

Le résultat, on le connaît maintenant. Il faut vraiment se donner des coups de pied au bas du dos pour investir de l’espoir dans le gouvernement de coalition qui vient d’être formé par Antonis Samaras. « Théoriquement, et selon la ‘science’ politique classique, Syriza est le grand gagnant des élections, passant de 4,5 % aux élections de 2009, à 27 % hier », écrivait le 18 juin l’ethnologue Panayotis Grigoriou sur son excellent blog, Greek Crisis (en français). « Syriza pense pouvoir capter l’ensemble du centre gauche et de la dynamique anti-mémorandum : « le futur nous appartient car le futur dure longtemps, entre temps, nous ferons tout pour mettre en place des réseaux de solidarité et de la survie pour la population » a déclaré encore hier Alexis Tsipras [leader de Syriza]. Cette lecture des faits est juste. Chez l’Aube dorée on ne fait pas autre chose, les baffes en plus, la course au futur est lancée : Banques, Syriza, Aube dorée, et l’avantage indéniable est aux banques en ce moment ».

 

Et pourtant…

De quoi demain sera-t-il fait ? Pour le moment, une seule chose à faire, et je ne plaisante pas : aller en vacances en Grèce… Il ne manquerait qu’une chose au malheur grec et ce serait que les recettes du secteur touristique (15 % du PNB du pays) s’effondrent.

 

Lire l’analyse de Greek Crisis « La queue du diable » en date du 21 juin

Photos de l’auteur

 

 

Entré vivant dans la légende

 Alexandre est sans doute
le premier homme d’
État
à avoir pensé planétairement…
René Grousset

Je suis allée au Louvre voir l’exposition « Au royaume d’Alexandre le Grand – La Macédoine antique », un peu par réflexe, parce que je vais un peu par principe voir tout ce que je peux qui se rapporte de près ou de loin à la Grèce. Je m’intéresse par contre bien peu aux conquérants, aux campagnes militaires et aux batailles. Mais avec Alexandre le Grand – que les Grecs appellent « Megalexandros », comme on dit en français « Charlemagne » – c’est un peu différent.

Marbre, œuvre hellénistique, IIe-Ier siècles av. J.-C. British Museum, source Wikipedia

Dès l’entrée, on est fasciné par la couronne de feuilles de chêne en or qui semble surgir des ténèbres. L’exposition présente de nombreuses pièces rares provenant du Musée archéologique de Thessalonique, où elles ont été rapportées du site archéologique de Vergina (l’ancienne cité d’Aigai, capitale de la Macédoine). Le site de Vergina semble un rêve d’archéologue, une nécropole inviolée recélant des pièces exceptionnelles. Il avait d’abord été exploré dans les années 1860 par une mission française dirigée par l’archéologue Léon Heuzey, mais c’est au Grec Manólis Andrónikos que revient, en 1977, le mérite de la découverte. (Pour la petite histoire, Heuzey est réputé avoir fourni à Flaubert une partie de la documentation sur l’Antiquité destinée à l’écriture de Salammbô).

Ce qui me semble spécifique à Alexandre, c’est la manière dont ce personnage est véritablement entré vivant dans la légende, et comment cette légende a continué à travers les siècles à évoluer, croître et embellir. On connaît les péripéties de la vie d’Alexandre et son grand périple de conquêtes, mais on oublie facilement qu’il ne reste que très peu de documents de première main : seulement quelques inscriptions sur des pierres dans des cités d’Europe et d’Asie. Les cinq principaux historiens qui en ont donné des récits, Arrien, Diodore de Sicile et Plutarque en grec, Quinte-Curce et Justin en latin, les ont écrits plusieurs siècles après la disparition d’Alexandre.

Par la suite, c’est surtout à partir du Roman d’Alexandredu Pseudo-Callisthène (un auteur égyptien ou grec d’Égypte du IIe siècle ou IIIe siècle. Les historiographes l’ont appelé ainsi parce qu’il voulait se faire passer pour Callisthène, le contemporain et biographe d’Alexandre le Grand dont furent perdues les chroniques) que vont se développer la plupart des innombrables légendes, vies, romans, histoires ou exploits d’Alexandre le Grand qui se multiplieront, à partir du Ve siècle. (On peut voir sur le site de la BNF le manuscrit du Roman d’Alexandre réalisé au milieu du XVe siècle pour le duc de Bourgogne Philippe le Bon).

Un historien moderne constate (ou déplore ?) l’« énorme fatras » des ouvrages consacrés à Alexandre. Hagiographies, visions apologétiques, panégyriques… Ces livres fonctionnent sur le caractère proprement mythique du personnage, à commencer par ses origines, ce que lui-même avait cultivé, et brodent ad libitum en y greffant des épisodes fictifs tels que combats contre des monstres mythiques, rencontres avec d’autres personnages célèbres (pas forcément ses contemporains), voyages à des lieux où il n’a jamais mis les pieds (à Rome ou en Angleterre) et même l’exploration sous-marine dans une sorte de tonneau de verre. Même son cheval, Bucéphale, est devenu légendaire ! La peinture s’est emparée de la légende, et quand son temps fut venu, le cinéma en a fait autant.

Sébastien Bourdon, Auguste devant le tombeau d’Alexandre

 

Il faut dire que de son vivant, Alexandre a tout fait pour parvenir à ce statut exceptionnel. Selon Plutarque, Alexandre prétendait descendre, par son père Philippe II de Macédoine, de Téménos d’Argos, lui-même descendant d’Héraclès, fils de Zeus — et par sa mère, Olympias, il affirmait descendre de Néoptolème, fils d’Achille. En 331 av. JC, ayant conquis l’Égypte et s’étant fait proclamer pharaon, il se rend dans l’oasis de Siwa où il rencontre l’oracle d’Ammon qui – selon Alexandre, entré seul dans le temple – le confirme comme descendant direct du dieu (assimilé par la suite à Zeus). « Il ne conquiert pas sa divinité : elle se dévoile peu à peu », écrit Michel Cazenave. « On ne peut comprendre Alexandre si on n’entend pas en même temps qu’à travers son destin, c’est un nouveau visage du sacré qui se force ainsi sa voie, – qui va des dieux vers les hommes, – et inversement, bien sûr, une nouvelle appréhension du règne des dieux par les hommes qui se fraie son chemin. » « Même s’il ne crut pas vraiment à cette origine, et se contenta d’utiliser à des fins politiques une adoration et une vénération populaires qui le servaient, l’équivoque fut suffisante, de son vivant, pour que toute sa personne, ses actes, ses paroles en soient auréolées de mystère », souligne Jacques Lacarrière.

O Megalexandros par le peintre grec Theophilos

Très soucieux de son image, Alexandre emmène avec lui dans ses expéditions des chroniqueurs chargés de raconter ensuite les hauts faits de la conquête, tout comme un chef d’Etat aujourd’hui trimballe dans sa suite les dircom et les attachés de presse auxquels il appartient de répandre la bonne parole. L’histoire a conservé le nom de ceux d’Alexandre : son ami Ptolémée (qui deviendra roi d’Égypte à la mort du conquérant), mais aussi Callisthène (le vrai, neveu d’Aristote, et ce dernier avait été le précepteur d’Alexandre), Anaximène, Onésicritos, Polyclète, Aristobule, Marsyas. Il fait frapper des monnaies à son effigie. Il fonde des villes nommées Alexandrie : si celle d’Égypte est la plus connue, il en aurait existé jusqu’à 70, la dernière étant la cité d’Alexandria Eskhate (c’est-à-dire « Alexandrie la plus lointaine ») sur les bords du fleuve Syr Daria, au Tadjikistan, aujourd’hui dénommée Khodjent.

Il reste ainsi tout au long de l’Antiquité, et au-delà, non seulement l’incarnation du conquérant victorieux, resté invaincu sur les champs de bataille tout au long de sa vie, mais aussi une figure mythique qui se prête à la construction d’une légende. Les Romains lui avaient voué un culte, et sa notoriété a persisté dans les régions conquises, où l’on a reconnu des peuples afghans au XIXe siècle vénérant « Iskandar » (variante orientale du nom d’Alexandre). Le concept de roi de droit divin, qui existait aussi à Sumer, dans l’union du monarque avec la déesse Ishtar, a persisté dans les rites d’avènement des rois d’Irlande au Moyen Age.

Si Alexandre le Grand ressemblait un tant soit peu à ce que suggèrent ses effigies (dont les têtes sculptées figurant dans l’exposition), il ne devait pas passer inaperçu. Bel homme, le bougre ! De plus, il avait semble-t-il les yeux vairons : un bleu, un marron. Comme David Bowie, qui n’est pas exactement l’homme le plus laid au monde.

Tête de l'« Alexandre Rondanini », glyptothèque de Munich. Image Wikipedia

Quoi qu’il en soit, la légende une fois établie a prospéré et ne peut plus être dissociée d’une vérité historique invérifiable. « En histoire, ce que les gens ont cru compte souvent tout autant que la réalité des faits », rappelle Michel Cazenave. Et la réalité d’Alexandre n’est pas seulement dans le mythe initial, mais aussi « dans la florescence autonome de ce mythe au-delà de son trépas, dans l’écoulement des siècles ». Son impact ne s’est pas dissipé de nos jours. « Comme le montre tout récemment [NDLR : ceci est écrit en 2004] la reprise, ou la poursuite, de la polémique entre Skopje et Thessalonique à propos du film Alexandre d’Oliver Stone, il n’est guère d’autre homme célèbre de l’Antiquité dont l’étude ait été plus influencée par des préoccupations de politique contemporaine », note Pierre Briant. On n’en a pas encore fini avec Alexandre…

Alexandre vu par le théâtre d'ombres grec (Karaghiozis)

La documentation sur Alexandre le Grand est évidemment immense. Je signalerai juste deux sites, celui de François-Xavier de Villemagne (d’où provient la carte des conquêtes) et le site de Michel Eloy Peplums avec un important dossier à propos du film d’Oliver Stone, une mine d’informations et d’analyses.

Vases communicants (aussi)

De nombreux auteurs de blogs littéraires se livrent, chaque premier vendredi du mois, à la pratique dite des vases communicants : chacun écrit ce jour là sur le blog de l’autre, et réciproquement. On peut en trouver la liste pour ce vendredi 4 novembre, sur le blog de Brigetoun (descendre au-dessous des deux premières entrées datées de juillet).

Un rivage de Grèce... (photo ELC)

Bien que dans un autre domaine, qui n’est pas de fiction, je m’y essaie à mon tour en publiant un article intitulé La Grèce de près et de loin, hébergé aujourd’hui par Bertrand Redonnet sur son blog L’Exil des mots (merci à lui, et à charge de revanche…) Simples réflexions en vrac sur ce que m’inspire la Crise Grecque (tellement grosse machine qu’elle mérite assurément des capitales).

PS le 7/11/11 – rectificatif

C’est par une regrettable confusion de ma part que cette initiative a été rapprochée, de manière unilatérale, des Vases communicants précités, et je prie Bertrand de m’en excuser.


Gorilles en Grèce

Etant donné les liens que je conserve, et que je tiens à maintenir, avec la Grèce, je vais voir des films grecs chaque fois que j’en ai l’occasion. C’est ainsi que ces derniers jours j’ai choisi Attenberg, film d’Athina Rachel Tsangari, dont je ne savais pratiquement rien à l’avance. Je ne peux pas dire que c’était une déception, parce que je n’attendais rien de particulier, mais je me suis plutôt ennuyée… Le personnage principal est une jeune fille assez sauvage et renfermée, Marina (Ariane Labed), qui mène une vie plutôt austère entre son travail (bizarre : servir de chauffeur aux cadres d’une usine) et son père, un architecte mélancolique, qui a un cancer en phase terminale – la mère, peut-être française, est morte, mais on ne sait pas quand. La seule relation personnelle de Marina est son amitié avec Bella, une fille qui est tout son contraire, plutôt délurée. Son occupation favorite est de regarder des documentaires animaliers de Sir David Attenborough (d’où le titre, Attenberg étant le nom d’Attenborough que Bella déforme par dérision), particulièrement ceux montrant des gorilles. Marina n’a aucune expérience avec les garçons, mais alors aucune, ce qui est tout de même curieux pour une fille de 23 ans absolument ravissante. Le film va montrer sa découverte du sexe tandis que son père fera, lui, l’apprentissage de la mort.

Voyez comme elles dansent...

Tout cela, dans l’absolu, ne serait pas sans intérêt, mais je n’ai pas du tout accroché à la manière dont Tsangari filme son histoire, manière plutôt affectée et non dépourvue d’incohérences. J’aimerais d’ailleurs bien savoir comment elle a fait pour filmer en Grèce dans des décors qui ont l’air de ne pas avoir changé depuis les années 70 : le grand hôtel où habite l’ingénieur que Marina est chargée de conduire, l’usine (une raffinerie ?) où il travaille, l’hôpital où elle accompagne son père. Et où on ne voit jamais personne d’autre que les protagonistes, ni aucun panneau publicitaire… Les séquences « événementielles » alternent avec d’autres où Marina et Bella, habillées de blouses façon Deschiens, se livrent à une chorégraphie fantaisiste de leur cru. C’est drôle la première fois, moins quand ça devient systématique. En fin de compte, il y n’y a que deux scènes vraiment réussies : l’une où Marina et son père, après une joute de jeux de mots, glissent insensiblement vers les onomatopées puis l’imitation des gorilles qu’elle aime à regarder à la télé. L’autre est une jolie scène d’humour noir, quand Marina va consulter une entreprise de pompes funèbres – plutôt chicos – chargée d’assurer l’expédition des corps en Bulgarie (ou en Allemagne si on en a les moyens…) pour y être incinérés, car la crémation pour le moment n’est pas autorisée en Grèce.

C’est plutôt bien joué (et d’ailleurs Ariane Labed a remporté un prix pour ce film à la Mostra de Venise l’an dernier), le problème n’étant pas comment les acteurs jouent mais ce qu’on leur fait faire. Au total, un film que j’aurais aimé pouvoir aimer davantage…