Écrire à la main

 

Je n’y avais pas pensé spontanément, mais c’est vrai que l’on écrit de moins en moins à la main, de même que l’on reçoit de moins en moins de lettres. (Je parle évidemment des vraies lettres, pas des factures et autres courriers administratifs.) C’est un article de Philip Hensher dans le Guardian (article signalé par Jean Véronis) qui a attiré mon attention sur ce sujet . Hensher est l’auteur d’un livre intitulé The Missing Ink: The Lost Art of Handwriting, and Why it Still Matters (grosso modo : L’art perdu de l’écriture manuscrite et pourquoi elle a encore de l’importance – la première partie du titre étant un jeu de mots avec “the missing link”, le chaînon manquant). Il y défend les vertus de l’écriture manuscrite, tout en se demandant si ce n’est pas, déjà, un combat d’arrière-garde…

Personnellement, j’écris encore beaucoup à la main. Je suis passée, pour tout ce qui était activité professionnelle, à la machine à écrire dans les années 70 et à l’ordinateur dans les années 90, et je ne suis pas du tout technophobe. Mais je me promène avec un carnet de notes dans mon sac, ainsi qu’un stylo à bille (ainsi que le recommande d’ailleurs Mr. Henscher) et un des aspects plaisants de cette habitude est de constater les différences dans ma manière d’écrire ces notes, selon que je suis pressée, ou mal placée (écrire debout dans la rue est malaisé) ou distraite, et la possibilité de faire des croquis, et aussi la juxtaposition absolument aléatoire dans ce carnet de choses vues, de références de livres, de réflexions fugaces, de souvenirs, de jeux de mots. Je pense (mais cela ne concerne que mon propre mode de fonctionnement) que si j’utilisais, au lieu d’un carnet en papier, un e-carnet quelconque, j’aurais tendance à répartir ces divers éléments dans des sections séparées les unes des autres, et j’y perdrais le plaisir de leur incohérence.

Je prends aussi des notes à la main, et je vois qu’en bibliothèque, sur dix personnes, neuf prennent leur notes sur ordinateur et je suis la dixième avec mon matériel préféré, bloc format A4 ligné, non quadrillé, et comme stylo un roller à encre liquide. Après de nombreux essais, j’ai pu déterminer que le meilleur, à mon sens, en tout cas le mieux adapté à mon goût en matière d’écriture, c’est l’ « Uniball Eye Pencil (fine) », UB 157, de Mitsubishi Pencil Co. Ltd. Noir évidemment. Avec lui, j’aime la manière dont la main glisse sur le papier, sans effort (la paresse reprend ses droits), le tracé fin et égal que l’on obtient, sa netteté. Son aspect est sobre, gris mat avec une partie gris argenté qui comprend une « fenêtre » par laquelle on peut voir le niveau de l’encre restante : très utile. Par la suite je vais écrire mes textes directement à l’ordinateur, mais passer par une phase d’impression pour corriger à la main.

L’article de Philip Hensher est plein de remarques intéressantes sur ce que l’écriture manuscrite nous apprend de nous-mêmes et des autres. Cette pratique est-elle vraiment menacée ? Combien de générations encore avant que l’enseignement de l’écriture à la main soit supprimé ? J’ai l’impression que c’est un peu la même question que celle du livre papier versus le livre numérique. J’aimerais croire que les deux peuvent coexister : après tout, l’invention de la photographie n’a pas éliminé la peinture ; simplement, après cette invention, on a peint autrement.

— Sur le plaisir d’écrire à la main, cette note d’un blogueur

Écritures muettes

C’est bien tardivement, puisque cette exposition s’est achevée le 23 août dernier, que je parlerai d’ Écritures silencieuses, expo qui avait lieu dans les beaux quartiers parisiens, à l’Espace Louis Vuitton (oui, au carrefour des Champs-Elysées, en face du Fouquet’s…) Espace qui a le mérite d’insuffler un peu de matière culturelle dans une zone sinistrée, vouée aux fast-foods et aux souvenirs touristiques.


Le concept de l’expo, point de départ intéressant, fait dialoguer trois tablettes d’écriture polynésienne « Rongorongo », non déchiffrées depuis leur découverte sur l’île de Pâques au XVIIIe siècle[1], avec les œuvres d’artistes contemporains qui tentent, avec ou sans les mots, de dire l’indicible. Démarche qui produit des objets de formes et de supports des plus variés. Il est difficile et hautement subjectif de décider ce qui, en l’occurrence, pourra être ou non pertinent par rapport au projet. Pour ma part j’ai assez tendance à adhérer à l’avis de l’ami Lunettes Rouges qui souligne à quel point, parmi les artistes rassemblés, certains n’ont que « des liens plutôt ténus » avec le thème.

Closky_Alphabet

Mais j’ai comme lui admiré l’aphabet de Claude Closky, composé de cent lettres : les 26 lettres de l’alphabet latin, plus 74 nouveaux caractères de son cru, qui ont l’évidence de leur simplicité. Elles sont constituées, comme les vraies, de trois ou quatre traits au maximum. « Le supplément de lettres semble promettre une multiplication des mots et des nuances du sens, et donc de nouveaux concepts, indique l’artiste[2]. C’est également un recul de la portée symbolique de chaque signe, le recul de l’abstraction nécessaire au signe pour fonctionner, et la remise en cause du pouvoir combinatoire des lettres entre elles. » Pour moi, cette prolifération renvoie aussi au grand écart perpétuel de l’écriture, entre la masse des mots disponibles et la nécessité de l’invention d’une langue spécifique à l’écrivant.

Une œuvre saisissante de Giuseppe Penone, également, cette Inpronta di Linfa/Scrigno (Empreinte de sève/Ecrin) qui associe un tronc d’arbre à une coulée de bronze et un panneau de cuir, mêlant étroitement la nature et l’artefact, comme dans la Matrice de Sève qu’il avait récemment exposée dans la cour de l’Ecole des Beaux-Arts.


[1] Il s’agit de moulages, les originaux étant au musée du Vatican.

[2] Dans le Journal des Arts (tiré à part du n° 307 daté 10 juillet 2009)

Écrire de soi

Loin des débats futiles sur l’autofiction et autres billevesées germanopratines, le psychanalyste et écrivain « Jibé » Pontalis poursuit son travail d’écriture. Démarche qu’éclaire un entretien récemment publié (interview par Marine Landrot dans Télérama n° 3111 du 27/8/09) :

« – Dans l’essai qui vous est consacré, Le Royaume intermédiaire, Jean-Michel Delacomptée dit que vous pratiquez ‘l’autographie’. Ce mot vous plaît-il ?
– Ça me plaît d’autant plus que je crois que, un peu imprudemment, c’est moi qui ai inventé ce terme. Contrairement à l’autobiographie, qui consiste à parler de soi, l’autographie, c’est le je qui s’écrit sans se prendre comme objet. On est dans le mouvement même de l’écriture. Le je s’écrit, il ne se décrit pas, il ne s’objective pas. Il fait entendre sa propre voix mais pas forcément en parlant de lui. L’autographie, c’est ‘j’écris en mon nom’, mais je ne me regarde pas dans un miroir. »

Je me suis interrogée sur ce terme d’autographie. La Wikipedia ne connaît d’autographie qu’un « procédé d’imprimerie du début du XIXe siècle permettant de transposer sur une pierre lithographique des dessins réalisés sur un papier spécial avec une encre grasse ». Et Larousse idem : « Transfert sur une pierre lithographique des traits tracés sur un papier dit ‘à report’, à l’aide d’une encre grasse ; reproduction ainsi obtenue. » On trouve davantage de références à l’autographie dans les sphères de la psychiatrie et de la psychanalyse : voir par exemple cet article.

Le lot à Entraygues - août 09

Le Lot à Entraygues - août 09

« On est fait de mille autres. L’illusion, c’est le moi qui prétend être un », disait-il déjà en 2006 dans un entretien au Monde. Et dans son livre Fenêtres (Gallimard, 2000) : « L’analyse, le rêve, l’écriture : trois mouvements actifs qui me déprennent du moi-même. Le moi s’y perd, le je s’y trouve. » Pourquoi chercher autre chose ?

Des livres que je n’écrirai pas

Oh ! tous ces livres que je n’écrirai jamais ! Pourtant leurs titres existent :

La route perdue

Ombres parallèles

Le passage des grues cendrées

Alphabet malhabile

Alphabet malicieux

Alphabet malencontreux

Sans aucun doute

Trilogie : Tracas, Frimas, Fracas

La triste histoire de Sébastien et Barnabé

 

Basile Gerlos : Les yeux bleus

Basile Gerlos : Les yeux bleus

Le territoire des ombres

Les frénétiques

Ostensiblement

Au pied du Canigou

Pages d’un livre perdu

Pages d’un livre brûlé

Le jour de l’éclipse

La vie tumultueuse de Bill Vezay

Peine perdue

Débardages

Rhéologie des larmes

Le combat de Bonus et Malus

Lâchez tout !

Corolles en l’air

L’ascension du Mont Perdu

…etc….

Sans me donner beaucoup de mal, je pourrais faire des quatrièmes de couverture pour tous ces livres…

Par exemple, Ombres parallèles (roman) : Dans une ville incertaine, dont les habitants semblent avoir perdu la mémoire, une femme erre à la recherche de l’homme qu’elle a aimé et perdu. Le hasard, ou le destin, va mettre sur son chemin un étranger qui lui ressemble. Ne serait-ce pas le même, qui a changé de nom, changé de vie ? Est-ce une nouvelle chance qui lui est donnée ? Une rencontre qui trouble l’héroïne et l’amène à poser un regard différent sur ce qu’elle a vécu.

Ha ha ha, on dirait du Harlequin.

Donc, je n’ai même pas besoin de les écrire. CQFD.

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PS – le 19 décembre 2010. J’ai retrouvé un autre titre inutilisé : L’excès lent.