« Là, tout flotte et s’en va dans un naufrage obscur. »
(Victor Hugo, Ce que dit la bouche d’Ombre)
C’est peut-être par la « matière noire » de Victor Hugo qu’il faut passer pour percevoir ses affinités avec le surréalisme. C’est en tout cas par son œuvre picturale qu’on accède à cette rencontre dans l’exposition actuellement (jusqu’au 16 février) montrée à la maison de Hugo, place des Vosges, et intitulée La Cime du rêve.
À travers un cheminement thématique – les châteaux, l’amour, la nuit, la mer, la forêt, le ciel, le bestiaire – mais aussi technique – l’empreinte, le pochoir, la tache, le rébus… – l’exposition La Cime du rêve juxtapose une cinquantaine de dessins de Hugo et des œuvres de Max Ernst, André Masson, Yves Tanguy, Francis Picabia, René Magritte, Unica Zürn, Brassaï, Hans Bellmer, Oscar Dominguez, Marcel Jean, Robert Desnos, Toyen, Wilfredo Lam, Georges Malkine… Valentine Hugo, aussi, qui n’était pas apparentée directement au grand Victor, mais avait épousé son arrière-petit-fils, le peintre Jean Hugo.
Il faut rendre justice à André Breton (même si Rimbaud et Lautréamont avaient déjà reconnu le poète comme l’un des leurs, un voyant…) d’avoir placé Victor Hugo, en 1924, dans le Manifeste du surréalisme, parmi ses pairs – et non leurs précurseurs : le surréalisme transcende les époques. Même si Breton assortit son jugement d’une réserve : « Hugo est surréaliste quand il n’est pas bête ». Et la présentation du musée souligne à juste titre que « le Hugo des années 1920 n’est pas, loin s’en faut, le Hugo consensuel qu’il est devenu aujourd’hui. C’est, d’un côté, un Hugo bien-pensant, un Hugo de manuels scolaires et de récitations, un Hugo statufié. C’est, d’un autre côté, un Hugo vilipendé par l’université pour sa fatuité, pour son côté verbeux, pour sa bêtise en somme, et honni tant par l’extrême gauche que par la droite extrême, maurrassienne. » On a certainement aujourd’hui une vision plus globale et moins manichéenne de l’écrivain, avec ses zones d’ombre et son goût pas seulement romantique pour ce qu’Annie Le Brun appelle « les arcs-en-ciel du noir ».
Habitée en son centre par la présence du Grand Tamanoir de Breton, l’exposition rassemble des œuvres majeures, avec notamment de très beaux Max Ernst (dont La Forêt). La juxtaposition, pièce par pièce, des dessins, encres, gouaches de Hugo avec les œuvres surréalistes atteste à coup sûr de troublantes similarités. Il serait intéressant de rechercher – mais cela a sans doute déjà été fait – de pareilles analogies dans les vers hugoliens…