J’aime suffisamment la peinture du Caravage pour avoir eu envie de voir la pièce qui l’évoque, Moi Caravage, qui passe actuellement au théâtre des Mathurins. Le 18 juillet 1610, sur une plage déserte non loin de Rome, Michelangelo Merisi, dit le Caravage, meurt dans des circonstances obscures. Assassiné ? Probablement. Pourquoi ? Par qui ? On ne sait. Dans la vie et dans la mort du maître du clair-obscur, tout est mystérieux. Il meurt à l’âge de 39 ans seulement mais laisse une œuvre imprégnée d’un réalisme brutal et d’un érotisme troublant qui marque à jamais la peinture.
Séduit par cette personnalité puissante et ténébreuse, Cesare Capitani, comédien et metteur en scène formé à l’École du Piccolo Teatro de Milan, est l’auteur et l’interprète de cette confession inspirée de l’ouvrage de Dominique Fernandez La Course à l’abîme (Grasset, 2003), sorte d’autobiographie imaginaire. C’est à l’occasion du 400e anniversaire de la mort du Caravage que la pièce a été créée au festival d’Avignon, le 18 juillet 2010.
« En écrivant ce roman qui tente de ressusciter par l’écriture la figure du peintre Caravage, je ne pensais pas voir jamais ressurgir celui-ci, sous mes yeux, en chair et en os, cheveux noirs et mine torturée, tel que je me l’étais imaginé, brûlé de désirs, violent, insoumis, possédé par l’ivresse du sacrifice et de la mort. Eh bien, c’est fait : Cesare Capitani réussit le tour de force d’incarner sur scène cet homme dévoré de passions. Il est Caravage, Moi, Caravage, c’est lui. Il prend à bras le corps le destin du peintre pour le conduire, dans la fièvre et l’impatience, jusqu’au désastre final », a commenté Dominique Fernandez.
Si vous ne connaissez pas le Caravage, allez faire un tour sur la Wikipedia qui présente une notice bien conçue et détaillée – y compris en ce qui concerne les techniques picturales. Deux mots inspirés de cette notice pour ceux qui ne feront pas le déplacement : Michelangelo Merisi, dit le Caravage (de Caravaggio, nom du village dont sa famille était originaire), est un peintre italien né en 1571 et mort en 1610. Son œuvre puissante et novatrice révolutionna la peinture du 17e siècle par son réalisme parfois brutal, son érotisme troublant et l’invention de la technique du clair-obscur qui influença nombre de grands peintres après lui. Par ailleurs il mena une vie agitée, riche en scandales provoqués par son caractère violent, sa fréquentation habituelle des bas-fonds et des tavernes, ainsi que par sa sexualité scandaleuse (lire : son homosexualité), ce qui lui attira de nombreux ennuis avec la justice, l’église et le pouvoir. Il a fallu attendre le début du 20e siècle (et notamment les travaux de Roberto Longhi) pour que son génie soit pleinement reconnu, indépendamment de sa réputation sulfureuse.

La Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas, tableau du Caravage peint vers 1604 et conservé dans la chapelle Cerasi de l’église Santa Maria del Popolo de Rome. Il s’agit du deuxième tableau sur ce thème, qui fut refusé par le commanditaire, l’évêque Tiberio Cerasi.
Dans la même logique de subversion mystique, un artiste beaucoup plus récent, l’écrivain et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini, montre par ses œuvres, sa vie et ses idées des ressemblances étonnantes, et même troublantes, avec le Caravage — jusque dans leur destin commun, puisque après une vie sulfureuse et mouvementée, tous deux ont connu une mort prématurée, par un meurtre mystérieux et inexpliqué sur une plage des côtes italiennes.
« Mon corps, on ne l’a jamais retrouvé. Brûlé sur la plage ? Jeté dans la mer ? Oublié comme un chien ? Un autre, à ma place, se lamenterait. Moi, je m’estime fortuné : ni tombeau, ni dalle funéraire. Pas de commémorations pour moi. Ce serait hypocrite, après avoir été persécuté de mon vivant ! On ne peut pas mettre sens dessus dessous la peinture et vouloir mourir comme le Titien à quatre-vingt-six ans, couvert de lauriers et riche à millions ! Non ! De mon existence j’ai fait un précipice, une course à l’abîme. Mon nom : Michelangelo Merisi. » Ainsi commence le texte de Moi Caravage, servi par une mise en scène minimaliste, magnifié par des éclairages qui suggèrent le clair-obscur du peintre et porté par un interprète complètement habité par son personnage. Une jeune femme (Laetitia Favart ou Manon Leroy, en alternance) lui donne la réplique en incarnant Mario, le compagnon le plus durable du Caravage, et en chantant des airs de Monteverdi. Donner à voir des tableaux par leur description pourrait être fastidieux, il n’en est rien, grâce à la passion avec laquelle Cesare Capitani les fait exister devant nous. L’évocation vaut surtout par la puissance du personnage principal ; néanmoins, en quelques touches, le texte réussit également à suggérer les mœurs et pratiques de l’époque en matière de création picturale.
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Superbe commentaire, passion communicatrice, plaisir certain, envie d’en être!
Au début, comme tu évoquais la mort du Caravage, j’ai pensé à Pasolini : mais tu n’as pas manqué de faire le rapprochement. L’expo qui lui rend hommage à la Cinémathèque ressemble aussi à un petit théâtre…
Je ne l’ai pas encore vue (l’expo) mais ça figure dans ma liste (de choses à voir)…
Très grand peintre mort jeune et ayant eu une vie très mouvementé. Mon peintre préféré avec Géricault.