La voix qui doit venir

 

« Un poème sur le papier n’est rien qu’une écriture soumise à tout ce qu’on peut faire d’une écriture. Mais parmi toutes ses possibilités, il en est une, et une seule, qui place enfin ce texte dans les conditions où il prendra force et forme d’action. Un poème est un discours qui exige et qui entraîne une liaison continuée entre la voix qui est et la voix qui vient et qui doit venir. Et cette voix doit être telle qu’elle s’impose, et qu’elle excite l’état affectif dont le texte soit l’unique expression verbale. Otez la voix et la voix qu’il faut, tout devient arbitraire. Le poème se change en une suite de signes qui ne sont liés que pour être matériellement tracés les uns après les autres. »

Paul Valéry, Première leçon
du cours de poétique
, 1937

Une nécessité impérieuse

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« Lire est une activité politique, au sens où cela permet de prendre parti dans la vie de la cité, dans la chose publique. C’est pour cela que nos gouvernants essaient de censurer, d’appauvrir la lecture afin d’affaiblir l’activité intellectuelle. Pour fabriquer des consommateurs dociles, surtout pas des individus capables de penser par eux-mêmes, de poser des questions intelligentes. C’est pour cela que les lecteurs doivent se battre ; car un lecteur c’est quelqu’un qui, au fur et à mesure qu’il se construit et s’enrichit par ses lectures, devient de plus en plus capable de poser des questions pertinentes. Je pense qu’il existe aujourd’hui une nécessité impérieuse de défendre l’activité intellectuelle et de lui redonner une place centrale dans nos sociétés. Il faut remettre la bibliothèque, et non la banque, au centre. »

Alberto Manguel
interview dans le n° 51 de
Chroniques de la BnF
, nov-.déc. 2009

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Image : Droit Devant, photo de Damien Doumax
(Merci à Wictoria de m’avoir fait découvrir ce photographe)

L’homme et la machine

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Locomotive Crampton, 1846 (Wikipedia)

« Vous croyez, vous espérez que ces machines vous dispenseront d’avoir vous-même une valeur propre, qu’elles vous communiqueront celle qu’elles possèdent. Détrompez-vous ! Rien au monde ne peut vous dispenser d’avoir vous-même une âme, une dignité personnelle, le respect de vous-même, un caractère, une conscience, une parole. Tous les rails de fer, toutes les chaudières à haute pression ne peuvent vous acquitter de l’obligation d’avoir vous-même une trempe invisible, ce ressort interne, ce point moral qui résiste, s’il le faut, au poids de l’univers et constitue l’être humain, ni le fer, ni le bois, ni la tôle ne vous prêteront leurs vertus. Il faut absolument que vous ayez les vôtres, celles qui caractérisent la nature humaine. Aucune machine ne vous exemptera d’être homme. »

Edgar Quinet, La révolution religieuse au XIXème siècle (1857)

source

Ephémère et pérenne

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« La vie m’a toujours semblé être comme une plante qui puise sa vitalité dans son rhizome ; la vie proprement dite de cette plante n’est point visible, car elle gît dans le rhizome. Ce qui devient visible au-dessus du sol ne se maintient qu’un seul été, puis se fane… Apparition éphémère. Quand on pense au devenir et au disparaître infinis de la vie et des civilisations, on en retire une impression de vanité des vanités ; mais personnellement je n’ai jamais perdu le sentiment de la pérennité de la vie sous l’éternel changement. Ce que nous voyons, c’est la floraison – et elle disparaît – mais le rhizome persiste. »

Carl Gustav Jung, Ma Vie (Prologue)

Image : Fractal Ontology

Fleurs de saison

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« J’allais alors d’un pas plus tranquille chercher quelque lieu sauvage dans la forêt, quelque lieu désert où rien ne montrant la main des hommes n’annonçaît la servitude et la domination, quelque asile où je pusse croire avoir pénétré le premier, et où nul tiers opportun ne vint s’interposer entre la nature et moi. C’était là qu’elle semblait déployer à mes yeux une magnificence toujours nouvelle. L’or des genêts et la pourpre des bruyères frappaient mes yeux d’un luxe qui touchait mon coeur; la majesté des arbres qui me couvraient de leur ombre, la délicatesse des arbustes qui m’environnaient, l’étonnante variété des herbes et des fleurs que je foulais sous mes pieds, tenaient mon esprit dans une alternative continuelle d’observation et d’admiration : le concours de tant d’objets intéressants qui se disputaient mon attention, m’attirant sans cesse de l’un à l’autre, favorisait mon humeur rêveuse et paresseuse, et me faisait souvent redire en moi-même : «Non, Salomon dans toute sa gloire ne fut jamais vêtu comme l’un d’eux. » (Jean-Jacques Rousseau, 3e lettre à M. de Malesherbes)