Centralisation

Je suis le centre du monde. Je suis là au milieu, et le monde est rangé bien sagement tout autour, à ma droite, à ma gauche, devant moi, derrière moi, au-dessus (un ciel entier), au-dessous (des kilomètres jusqu’au centre de la Terre). Si je change de place, instantanément le monde s’adapte et se réorganise autour de moi à nouveau ; il n’est jamais pris de court. Si je m’en vais à l’autre bout de la Terre, comme cela m’arrive quelquefois, c’est pour y retrouver la même organisation, dont je suis incontestablement le centre puisque tout est disposé dans le même ordre autour de moi.

Je suis le centre du monde. Je m’éveille et c’est le matin : bien sûr, c’est le matin, puisque je m’éveille. Je m’endors et c’est la nuit : puisque je m’endors, c’est effectivement la nuit. A l’autre bout du monde, pendant ce temps, c’est le jour : bien sûr, puisque c’est l’autre bout du monde, par rapport au centre, qui est moi.

Ce n’est pas tout : j’ai quelque chose à vous dire. C’est valable aussi pour vous : vous êtes le centre du monde. Vous n’avez qu’à essayer, ça marche tout seul. En fait, cela marchait déjà, il suffit de le constater. Le centre du monde est partout.

Rediffusion de ma note du… 1er octobre 2004 (à l’époque sur le blog « Sablier »)
Image de la Terre prise par le télescope Hubble (merci à Jean-Louis Clavé)

Les cinquante ans de Bison Ravi

Boris Vian à Saint-Tropez vers 1956 - © DR - Archive Cohérie Boris

Boris Vian à Saint-Tropez vers 1956 - © DR - Archive Cohérie Boris

Boris Vian n’a jamais eu cet âge canonique, puisqu’il est mort avant d’avoir atteint les quarante, comme il l’avait toujours prédit. En France comme ailleurs, on n’aime rien tant que célébrer un écrivain de manière forcenée avant ou après son cinquantenaire, ou centenaire, quitte à l’oublier plus confortablement avant et après. Vian n’échappe pas à cette célébration convenue qui l’aurait sûrement bien fait ricaner.

Car on le présente souvent comme un aimable fantaisiste, un doux rêveur, un joyeux plaisantin, toutes choses qu’il était sans doute, mais ce serait passer à côté d’une dimension essentielle de sa personnalité et de son œuvre que d’ignorer la noirceur de sa vision de l’humanité. Noirceur qui apparaît en filigrane derrière les amusements, certes fort agréables, auxquels il nous convie. Il n’y a qu’à lire par exemple son roman L’Arrache-cœur, ou bien les magnifiques nouvelles du recueil Les Fourmis. On dit que l’humour est la politesse du désespoir ; à cette enseigne, Boris Vian est assurément quelqu’un de très poli.

J’ai beaucoup aimé Vian dans ma lointaine jeunesse, je m’en suis un peu éloignée depuis, pour des raisons que je connais plus ou moins bien. Je lui conserve une affection un peu triste, comme pour un ami perdu de vue. Je le relirai peut-être. Ce serait bien qu’un théâtre puisse monter sa pièce Les Bâtisseurs d’empire. En attendant, parmi toutes les parutions consacrées à l’auteur du Déserteur, voici un volume de la très très bonne collection Découvertes chez Gallimard (ci-dessous) ; on annonce la publication d’une numéro spécial de la revue Europe en septembre 2009 ; et on retrouve toutes les manifestations de ce cinquantenaire sur un blog « dédié », comme on dit maintenant de manière intransitive.

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Beaucoup de ressources documentaires aussi sur le site Le petit cahier du grand Boris Vian, qui propose notamment les contributions de BV au Collège de Pataphysique.