Troisième et dernier volet de ces chroniques du Salon du Livre, la table ronde du mardi 30 mars sur le thème « Le polar comme forme d’expression », animée par Hubert Artus (qui tient une très bonne rubrique livres sur Rue 89) avec quatre auteurs : Peter James[1] (UK), Camilla Läckberg (Suède), Michèle Lesbre (France) et Patricia MacDonald (USA).
Bien que je sois assez portée sur le polar (et notamment ceux écrits par des femmes…), je ne connaissais que deux des auteurs présents. J’avais lu, de Michèle Lesbre, « Que la nuit demeure » (chez Actes Sud, coll. Babel), qui m’avait bien plu, et de Patricia MacDonald, un titre qui m’échappe et qui ne m’avait pas emballée. C’était donc pour moi largement de la découverte. Une bonne partie du débat portait sur les origines anglo-saxonnes du polar et les auteurs ayant influencé les écrivains présents… Je résume.
Camilla Läckberg estime que les auteurs suédois ont été très inspirés par les Anglo-saxons, et surtout par les Britanniques, mais qu’ils ont aussi une touche particulière, leur évocation de la vie quotidienne, où elle voit « la clef du succès polar scandinave ». L’image de la Suède, vue en Europe comme un pays idyllique, a été brisée par le roman policier. « Mes livres sont sombres parce que je traite souvent de mes propres peurs » (par exemple les dangers menaçant les enfants). Originaire de Fjällbacka, une petite ville de la côte Ouest de la Suède (où se passent ses livres), Camilla Läckberg voit dans les conditions de vie très dures des habitants, des pêcheurs, l’origine de « l’emprise d’une forme stricte de christianisme très sévère, où la vie est considérée comme une longue misère ». Cette mentalité lugubre qui subsiste encore constitue, pense-t-elle, un bon arrière-plan pour des histoires de meurtre…
Les romans de Michèle Lesbre, rappelle Hubert Artus, sont souvent axés sur une disparition qui entraîne une exploration du passé, de la mémoire collective et militante, avec un schéma mêlant plusieurs narrations . Elle-même se situe par rapport à la définition de JP Manchette : « ce n’est ni l’enquête ni l’énigme qui m’intéressent, ce n’est pas qui mais pourquoi ». Le roman noir est une littérature de crise, qui regarde le monde tel qu’il est (NDLR : on en a donc grand besoin à l’époque actuelle). Elle se réclame aussi de Simenon, pour son exploration « de la vie provinciale, des failles familiales ». De Chandler, Goodis, Thompson, Cain. Aussi Léo Malet et même Albert Simonin. Elle voit son travail actuel comme un relais pour prolonger les écrits des années 70, soit que les auteurs aient disparu (Jonquet, Pascal Garnier), soit qu’ils aient cessé d’écrire (JF Vilar). Toute une génération du néo-polar politique (Manchette, Daeninckx, Pouy, etc…), auteurs en général d’extrême-gauche, une forme continuée aujourd’hui par Dominique Manotti. Michèle Lesbre fait aussi référence à Denis Lehane, Cormac McCarthy, auteurs de livres « d’une grande force » pour éveiller la conscience sociale, montrant « les vitrines très sombres d’un possible pour un monde devenu fou ». Il s’agit toujours « des trajectoires de gens que l’Histoire a bousculés » et de voir comment ils se construisent dans ces conditions.
Les romans de Patricia MacDonald appartiennent à l’école traditionnelle du whodunit et se situent dans l’angle resserré du cercle de famille, du couple. Hubert Artus les présente comme « un mélange d’Agatha Christie, de PD James et de Mary Higgins Clark, avec quelque chose de plus pervers ». Elle se déclare en effet passionnée par Agatha Christie lue à onze ans et intéressée « par les motivations, les tendances sociales autant que psychologiques ». Elle revendique aussi l’influence de Ruth Rendell. Pourquoi se focaliser sur l’univers familial ? Parce qu’on y trouve « la sécurité et le danger en même temps, il s’y passe parfois des choses épouvantables… »
Peter James est à la fois romancier et réalisateur de cinéma et télé. Son originalité : allier au suspense psychologique la cocasserie, le burlesque. En outre, les enquêtes menées par son héros, le flic Roy Grace, recourent à des méthodes inhabituelles (recours au paranormal, mediums etc.) L’auteur a trouvé sa vocation dès l’enfance en lisant Conan Doyle, frappé par son talent d’observation. De plus, ajoute-t-il, il a passé son enfance à Brighton, « capitale du crime dans les années 30 » (je n’ai pas compris s’il voulait dire dans le réel ou dans la fiction…) , un environnement idéal pour devenir auteur de polars. Le paranormal, souligne Peter James, représente une partie seulement des techniques d’enquête. Ce dont l’enquêteur a besoin, c’est « d’une grande intelligence émotionnelle et d’un esprit ouvert ». Aujourd’hui la focalisation du polar s’est déplacée du lieu du crime vers le laboratoire, mais pourtant « une grande partie du travail du policier vient encore de l’instinct ».
source images
Michèle Lesbre : France 2
Peter James : son propre site
Patricia MacDonald et Camilla Läckberg : Wikipedia
[1] Assise au premier rang, j’avais une excellente vue en contre-plongée sur les chaussettes de Peter James, d’un beau vermillon. Je me suis souvenue qu’il y a bien longtemps, on avait fait grief à Édouard Balladur de porter des chaussettes rouge vif…