La forêt comme un conte

« J’aimerais préserver l’altérité des arbres
comme l’une des plus précieuses ressources
parmi celles qui nous aident à vivre,
dans un monde submergé par l’humain. »
Francis Hallé

Il était une forêt : Voici un film né d’une passion communicative, celle du botaniste Francis Hallé pour les forêts. Ayant lu son beau livre Plaidoyer pour l’arbre (Actes Sud, 2005) – dans le cadre d’une recherche sur laquelle je reviendrai un jour – j’étais très curieuse de voir le résultat. C’est une grande réussite !

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Il était une forêt : cela commence comme un conte, et on se souvient bien sûr que la forêt est souvent le cadre des contes populaires, plus que le cadre même, elle en est l’un des acteurs. Le titre donne le ton : bien que le film du réalisateur Luc Jacquet (auteur déjà de la célèbre Marche de l’empereur) soit un documentaire, ce n’est pas un état des choses bourré de chiffres ; c’est une évocation visant à nous faire comprendre, images à l’appui, comment fonctionne une « forêt primaire » et en quoi elle est importante pour le genre humain. Mieux et plus, il réussit à faire passer son extraordinaire beauté. Il faudrait convoquer, pour le dire, tous les termes qui disent l’immense, l’énorme, l’excès. Les dimensions sont gigantesques, les durées se chiffrent en siècles – la forêt est aussi un instrument de mesure du temps.

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Francis Hallé est l’acteur unique de cette représentation. Je ne crois pas que l’on croise un seul autre être humain dans le film (mais de nombreux animaux). On le découvre au début en train de dessiner ce qu’il voit, confortablement installé à la fourche d’un arbre énorme, un moabi, au sein de la canopée. (Le film a été tourné au Pérou et au Gabon). C’est aussi sa voix qui nous accompagne. Le cinéaste a habilement entremêlé les plans de forêts réelles et les images de synthèse évoquant les diverses phases de développement de l’espace forestier, splendidement dessinées dans un style qui m’a rappelé le monde bleu d’Avatar.

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Le botaniste s’est exprimé (voir notamment cette interview) sur ses intentions, voulant éviter, malgré le danger que courent aujourd’hui les forêts tropicales, de faire passer un message anxiogène, mais plutôt transmettre quelque chose de cette beauté sans pareille. Ce que le film expose aussi, c’est l’interaction continuelle des plantes entre elles, des plantes avec les animaux, de toute cette chaîne du vivant dont les mutations s’impactent réciproquement (voir la saga de la passiflore et du papillon heliconius…) et dont nous autres, êtres humains, faisons également partie.

Rappel : le livre d’Anatoli Kim, Notre père la forêt

En Pologne mais pas nulle part


Lecture qui m’a accompagnée en Grèce, le petit livre de Bertrand Redonnet (petit seulement par le format !) Le Théâtre des Choses (éditions Antidata, 2011) est composé de dix nouvelles dont les décors se partagent entre la Pologne – et plus précisément cette partie orientale de la Pologne, aux confins de la Biélorussie, où l’auteur habite depuis six ans – et la campagne poitevine dont il est originaire. Léger avantage à la Pologne, toutefois, qui l’emporte avec six textes contre quatre seulement situés en France.

Si j’insiste d’emblée sur la géographie, c’est qu’elle joue un rôle particulièrement important dans cet ensemble. Chacun des récits, au grain bien serré, s’encastre en effet très précisément dans les lieux qui l’ont suscité. (Redonnet n’est pas pour rien l’auteur d’un précédent livre intitulé Géographiques.) Et la géographie, c’est souvent de la géopolitique, donc de l’histoire et même de l’Histoire avec un grand H, dont ce coin de Pologne est comme saturé. Histoire qui ne nous est donnée à entendre que par la manière dont elle obsède le souvenir des gens du pays, comme le suggère le beau titre de l’une des nouvelles, Résurgences. Plus que de la théorie des climats, c’est de l’empreinte des événements sur les paysages qu’il s’agit, et comment cette empreinte finit par occuper l’esprit des habitants d’un lieu et même influencer leur destin.

C’est là le point commun principal des dix nouvelles, qui partagent souvent aussi une ambiance un peu fantastique, celle des récits que l’on se racontait au siècle passé (et là je parle évidemment du 19…) à la veillée, au coin du feu, et l’on se souvient alors que Bertrand Redonnet se réclame, entre autres parrains estimables, de Maupassant. (Il cite notamment la nouvelle de Maupassant Le Loup, mai j’ai pensé aussi à celle intitulée La Peur.) Ambiance qui est celle aussi parfois des grands auteurs russes, et il m’a semblé voir l’ombre de Dostoïevski planer sur Le Moine peu orthodoxe, celle de Tourgueniev sur L’Écrivain.

Les textes sont courts, ramassés, prêts à bondir. Bertrand Redonnet maîtrise à merveille l’art de la chute, cette clef essentielle de la beauté d’une nouvelle. Je vous recommande d’être attentifs, notamment, à celle du texte intitulé Souricière : elle est brutale – comme si on avalait cul sec un verre de vodka polonaise à l’herbe de bison – puissante et, en même temps, elle laisse une porte ouverte au mystère.

Le dernier récit a pour titre La dixième nouvelle. Il a du mal à démarrer, on a l’impression de tourner autour du pot, mais quand le sujet se déploie dans sa terrible clarté, on se demande si on n’aurait pas préféré ne rien savoir. Suggérer tout cela en dix pages – l’impatience préalable, l’horreur de la découverte, puis la honte de ce qu’on a entendu – c’est vraiment très fort. Tout le livre est empreint d’un mélange de douceur, de sérénité même, celle du temps qui passe et des choses qu’on abandonne, et de violence venue du passé, mélange détonnant qui lui donne sa coloration particulière.

Forêt de Białowieza - image Wikipedia

Enfin, un charme supplémentaire pour moi, c’est l’évocation de la forêt, très présente dans plusieurs des nouvelles, notamment la première, Le Loup, qui est une belle histoire d’obsession, mais aussi Souricière ou encore La Mort et le Bûcheron. N’oublions pas que c’est en Pologne que se trouve la forêt primaire de Białowieza, la seule qui subsiste encore en Europe. Et d’ailleurs Bertrand Redonnet en parle sur son blog, L’Exil des Mots.

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PS le 23 novembre 11. Je ne suis pas mécontente de voir que Jean-Louis Kuffer apprécie également ce livre (avec le lien, voir la section « Notes en chemin – 27 »).

Notre père qui êtes en forêt…

Il est des recoins fort étranges dans mes bois,
muets et vigilants vers la fin du jour,
où seule la raison de ceux qui ont traversé les folles épreuves
de notre siècle est capable de s’orienter.
Anatoli Kim

Je viens de lire un livre d’une puissance peu commune. Comment je suis tombée sur ce roman, Notre père la forêt (éd. Jacqueline Chambon, 1996), n’est pas exactement le fait du hasard, mais ce n’est pas ici le lieu ni le moment d’en parler. Toujours est-il qu’en ouvrant ce livre, je ne savais strictement rien de son auteur, Anatoli Kim, écrivain russe d’origine coréenne (et maintenant pas grand-chose de plus, comme on le verra ci-dessous).

Le titre du livre en est le fil conducteur. Le Père-Forêt, comme il est désigné dans le corps du roman, représente une sorte d’incarnation invisible d’un démiurge universel, dont la présence se manifeste par la forêt. Dans cet univers, les hommes et les arbres sont intimement liés, appartiennent à la même lignée : « Vous êtes né au monde en tant qu’humain uniquement parce qu’un jour quelque part un homme est tombé. Et vous êtes sans le savoir le descendant direct de cet arbre, car le moment de sa mort coïncide avec celui de votre naissance. » Ainsi, comme le dit d’un des personnages, « chacun de nous est la chair et le sang du Père-Forêt, de ce grand Bois universel qui nous entoure. Il est le premier des vivants à s’être dressé au-dessus du sol. Et si l’on reconstitue mentalement la chaîne de l’évolution, chaque être humain a été un arbre par le passé et se trouve donc porteur de ses lois et de sa morale. »

Ce lien si fort et si particulier, Kim l’illustre par l’évocation, plutôt que l’histoire, d’une famille de propriétaires terriens, qui s’étend sur l’ensemble du vingtième siècle : essentiellement, le grand-père Nikolaï Touraev, ermite et philosophe, son fils Stepan, survivant de la 2e guerre mondiale et des camps de prisonniers, et son petit-fils Gleb, chercheur scientifique à l’origine d’une découverte effrayante, celle d’une nouvelle « arme absolue ». Mais sur cette base, il ne faut pas imaginer une grande saga remplie de péripéties bien circonstanciées. On a affaire à tout autre chose, une sorte d’écriture polyphonique où les temps se confondent, où l’on passe insensiblement, à travers les parties de narration à la première personne, d’un personnage à l’autre sans qu’il soit toujours possible de les identifier. Et cela d’autant plus aisément que, malgré les différences de personnalité et d’époque, les Touraev sont sujets à certaines obsessions caractéristiques qu’ils ont en commun, telles que « l’émotion de la solitude absolue » : « Ce trait de la conscience, héréditaire et qu’on pourrait qualifier de fatal, obligeait chacun des Touraev à fuir la société des hommes pour l’isolement de la campagne et des bois ». C’est ce que Kim appelle aussi « le moi solitude », qu’il décrit avec une acuité remarquable. Ils sont aussi habités par la tentation du suicide, un suicide plus inspiré par la conscience de l’absurdité totale de l’existence que par des événements de leur vie.

Ainsi la narration noue et renoue les fils entrecroisés de ces existences et de leurs thèmes obsessionnels à travers un siècle de bruit et de fureur, où s’imbriquent les récits évoquant les souffrances de tant d’êtres humains, notamment dans les camps de prisonniers, Russes prisonniers des Allemands, Allemands prisonniers des Russes, Russes prisonniers des Tatars, récits d’une grande précision et souvent d’une grande crudité, habitant notamment le souvenir de Stepan, qui a traversé toutes ces vicissitudes pour devenir finalement garde-forestier. En parallèle, ces souffrances sont aussi celles de Déméter, la terre-mère abandonnée par les paysans pour être labourée désormais par des machines dans les grands sovkhozes mis en place après la Révolution de 1917.

La révélation du lien entre les hommes et la forêt constitue leur seule planche de salut. Sur le point de se noyer dans la rivière en crue, Stepan en fait l’expérience : « C’est alors qu’il aperçut les troncs gigantesques du grand Bois dont les sommets s’ancraient dans le ciel et il comprit que sa petite vie, si près de finir, n’était qu’une parcelle, un épiphénomène de la Forêt universelle. Et aussitôt, la peur de mourir le quitta, il fit un pas vers ce qui n’était plus en cet instant le salut de son être apeuré, mais la continuité de l’un des arbres du bois. »

Mais la posture de la Forêt à l’égard des humains est celle d’une vertigineuse indifférence. « Quand les hommes se multiplient », dit le Père-Forêt, « le nombre d’arbres de la forêt terrestre diminue, et au contraire, quand les hommes meurent par nations entières, mon peuple vert croît et envahit lentement les champs désertés. Je n’ai pas à choisir entre eux, tous mes enfants sont égaux à mes yeux, qu’ils soient confères, feuillus, mathématiciens, turkmènes ou surréalistes. »

Le roman n’est pas situé géographiquement de manière précise, mais il y est question de la forêt de la Mechtchera, qui est située dans une plaine marécageuse aux confins de trois régions, celles de Moscou, de Vladimir et de Riazan, et dans le bassin de la rivière Oka, affluent de la Volga. Dans cette forêt, Nikolaï, Stepan et Gleb Touraev se montrent tous trois attachés à un arbre particulier, un pin au tronc dédoublé « en forme de lyre » ; on apprendra plus tard l’origine et la signification de ce lien.

J’ai quelques réserves sur la fin du livre, qui débouche sur une sorte d’hypothèse de rédemption grâce à un second avènement annoncé du Christ. Mais cela n’enlève rien à la puissance et à la profondeur de l’ensemble, qui nous emporte dans une vision panthéiste, inspirée, et en même temps ancrée dans une réalité tout à fait précise.

On sait assez peu de choses sur Anatoli Kim (très peu de références sur lnternet, et celles qui existent sont souvent en russe) auteur russe dont quatre livres ont été publiés en français aux éditions Jacqueline Chambon. Il est né en 1937 (d’autres disent 1939), dans un village du sud Kazakhstan, fils d’un père coréen dont la famille avait immigré en Russie en 1908 et d’une mère russe. En 1948, sa famille s’est installée dans l’île de Sakhaline (chère à Tchekhov), à l’extrême Est de l’URSS. Après ses années de lycée à Sakhaline et des études d’art plastique à Moscou, il opte pour la littérature. Il semble qu’il ait travaillé aussi comme scénariste. Certaines références le classent dans les auteurs de science-fiction, catégorie à laquelle semble se rattacher son roman L’Écureuil. Quoi qu’il en soit, un auteur à découvrir.

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image forêt russe : 123RF

Wang Keping, l’ami des arbres


Et l’éternité même est dans le temporel
Et l’arbre de la grâce est raciné profond
Et plonge dans le sol et touche jusqu’au fond
Et le temps est lui-même un temps intemporel

Charles Péguy

« Le bois me chuchote son secret. Les arbres sont comme des corps humains, avec des parties dures comme les os, des parties tendres comme la chair, parfois résistantes, parfois fragiles. Je ne peux aller contre sa nature. Il ne me reste plus qu’à la suivre pour qu’elle accepte d’être ma complice. » Les paroles de Wang Keping témoignent d’une perception particulière, d’une connaissance intime du bois, et cette analogie a inspiré au sculpteur chinois le titre de son exposition : « La Chair des forêts » (jusqu’au 12 septembre au musée Zadkine).

A l’exception d’un bronze de 2009, fonte d’une oeuvre monumentale intitulée Renaissance, la sélection présentée est exclusivement constituée de sculptures en bois réalisées de 1989 à 2008. Wang Keping utilise des pièces de bois superficiellement brûlé puis poli, de sorte que, même provenant d’essences différentes (chêne, érable, peuplier, if…) elles sont toutes de la même couleur brun très sombre, presque noir. Elles sont aussi très lisses et donnent envie de les toucher.

Il crée des personnages hybrides, massifs, aux visages sans traits, des figures animées par l’énergie vitale du bois. Elles sont la révélation d’une « présence » dans les formes naturelles de l’arbre, avec ses branches, ses noeuds qui leur donnent vie. Des formes arrondies, organiques, qui m’ont rappelé celles de Henry Moore.

Né en 1949, autodidacte, Wang Keping est une figure emblématique du premier groupe d’artistes chinois non conformistes, Xing Xing (Les Etoiles)  formé à la faveur du Printemps de Pékin en septembre 1979. Il s’est installé en France en 1984.

J’ai beaucoup aimé le site (réel) du musée Zadkine, que je ne connaissais pas, avec son petit jardin bien vert et sans fleurs, semé de sculptures, et où les chaises sont accueillantes à la visiteuse estivale. J’aurais un seul reproche à faire à l’exposition, c’est que l’espace qui lui est consacré (l’atelier de Zadkine) est fort exigu. C’est souvent le cas à Paris… Les pièces de Wang Keping gagneraient à être vues avec un certain recul (au sens littéral).

De belles photos du jardin ici ou bien là.

Mes 36 m2 de forêt tropicale

On m’a transmis ce message il y a quelques jours :

« Bonjour,
J’ai commence récemment à utiliser un nouveau moteur de recherche qui sauve 2m² de forêts tropicales chaque fois que je fais une recherche. Les résultats sont aussi bons que sur Google et Yahoo et c’est gratuit.

L’adresse? http://www.Ecosia.org

Jusqu’à maintenant Ecosia a sauvé 65.352.264 m² de forêt tropicale! Allez voir et transmettez ce message vos amis. Ça n’a jamais été aussi facile de se mettre au vert… »

Forêt de Guyane - image Wikipedia

Je suis allée voir et j’ai installé le moteur en question. Sur son site, Ecosia explique qu’il s’agit  d’ « un moteur de recherche écologique partenaire de Yahoo, Bing et du WWF (World Wide Fund For Nature). Ecosia fonctionne comme n’importe quel autre moteur de recherche, à la différence près qu’Ecosia reverse 80 % des ses revenus publicitaires à un projet WWF de protection de la forêt amazonienne. »

Alors oui, on peut se dire que ce n’est guère plus qu’un gadget, mais comme l’essentiel de mes préoccupations tourne actuellement autour de la forêt (virtuelle, mais c’est tout comme…), je trouve que c’est plutôt sympa. Et voilà, j’ai déjà sauvé un carré de 6 x 6 m de forêt tropicale. Peut-être pas de quoi pavoiser, mais ça continue…

(Merci à Régis Poulet qu’on peut lire notamment dans la Revue des Ressources)

La Forêt en Partage

Un beau titre pour une belle idée. Dans quelques jours aura lieu à La Garde-Freinet, dans le Var, le premier festival « La Forêt en Partage ». Une manifestation qui ne pouvait pas mieux se situer que dans cette ville située au cœur du grand massif forestier des Maures.

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Le texte de son « manifeste » :

« Pendant des millénaires la forêt a été un réservoir inépuisable. Elle a apporté à l’homme chaleur, nourriture, médecine. Elle a été protectrice, bâtisseuse, et même… poumon. Elle est au cœur de bien des histoires qui débutent par « Il était une fois … ». Pour chacun d’entre nous elle représente quelque chose qui dit l’être que nous sommes.

Or dans bien des endroits du monde elle est  malmenée, pillée, détruite, au point d’être aujourd’hui au cœur des débats de société et de développement des territoires. Car elle est un maillon essentiel de la chaîne de vie.

Le Festival du Freinet souhaite sensibiliser le public et notamment les jeunes à la redécouverte de ces belles dames menacées que sont les forêts de notre planète, en retissant les liens d’un échange aussi nécessaire à elles… qu’à nous. »

Avec des conférences et débats, des promenades, des concerts, des expositions, des spectacles, ce festival est orienté vers une multiplicité d’approches permettant de mieux percevoir toutes les dimensions de la relation immémoriale existant entre les êtres humains et la forêt.

J’y serai…

photo de Patrick Morand

Renseignements à l’Office de Tourisme de La Garde-Freinet.
Tel. 04 94 43 67 41