La peinture est
le mensonge le plus beau.
Kees Van Dongen
C’est une curieuse trajectoire que celle du peintre hollandais Kees Van Dongen (1877-1968) auquel le Musée d’Art Moderne vient de consacrer une exposition qui s’achève dans quelques jours (le 17 juillet). Centrée sur la période parisienne de l’artiste, l’exposition rassemble environ 90 peintures, dessins et un ensemble de céramiques, de 1895 au début des années trente. Son titre, « Van Dongen fauve, anarchiste et mondain » fait moins référence aux périodes stylistiques de l’artiste qu’à ses attitudes souvent contradictoires et paradoxales. En effet, ce peintre prompt à la caricature et à la dénonciation sociale, proche des milieux anarchistes au début du 20e siècle, artiste d’avant-garde et figure du fauvisme, devient après la 1e guerre mondiale l’une des grandes figures de la scène parisienne des « années folles » et le portraitiste mondain en vogue.
« A partir de 1913, il s’installe au 33 de la rue Denfert-Rochereau, dans une vaste maison de deux étages où il va donner de grandes soirées mondaines, il va devenir le portraitiste à la mode de la bonne société parisienne, le tout-Paris se presse à sa porte pour assister à ses soirées ou pour se faire faire un portrait. (…) Son ambition de réussite semble enfin être assouvie : il devient ce que Paul Gsell appela « le peintre des névroses élégantes ». C’est à cette époque que l’on considère la période fauve de Van Dongen comme close. En 1914, il aura été le dernier à délaisser le mouvement mais contrairement à Matisse, Braque et Derain, il ne le fait pas dans le but de créer autre chose, mais plutôt pour poursuivre une confortable carrière de portraitiste mondain dont les œuvres ne sauront traverser le temps. » source
C’est pourquoi on peut passer rapidement sur la dernière salle de l’expo, intitulée « l’époque cocktail » : aucun intérêt. Heureusement, il y a tout ce qui précède.
« Van Dongen, d’abord intéressé par le dessin où s’expriment ses idées anarchisantes, se consacre ensuite à la peinture. C’est par la couleur, celle d’une palette éclatante et vitaliste qu’il mène au paroxysme des contrastes, qu’il va désormais exprimer sa fougue provocatrice, son sensualisme, cette ‘délectation capiteuse de la matière’ et, surtout, cette invention chromatique lyrique et brutale qui a fait de lui un des grands fauves. » source
Il existe déjà une force considérable dans l’autoportrait peint en 1895 à Rotterdam où il se représente en silhouette noire, imprécise, de dos devant une fenêtre par où l’on aperçoit le sommet des mâts dans le port. Dès cette époque il applique les couleurs violentes qui deviendront sa marque de fabrique et il choisit des cadrages originaux, comme dans cette vue du Sacré-Cœur à Montmartre (1905) où les bâtiments représentés n’occupent qu’une bande de hauteur très limitée (disons 10 % du total) en bas du tableau, le reste étant envahi par un grand ciel jaune très lumineux.
Même lorsqu’il adopte les techniques pointillistes, par exemple, il les pousse à l’extrême ; dans le Boniment (1903), scène de cirque à Médrano, la danseuse tient la majeure partie du tableau, un grand format ; en retrait, le clown se fond presque dans un arrière-plan saturé de rouge. La Commode (1912) se tasse dans le tiers gauche d’une toile dont l’essentiel est occupé par un grand panneau de porte orangé dans un mur jaune. La Penseuse (1907), avec ses immenses yeux en amande et son visage triangulaire, a quelque chose de Colette.
Avec tous les portraits de commande que Van Dongen a produit à la pelle dans les années 20, on a pu oublier à quel point il avait fait scandale quelques années auparavant (en fait on ne l’oubliait sans doute pas : cela ajoutait à sa puissance d’attraction…), comme avec ce Tableau qui, présenté au Salon d’Automne de 1913, fut décroché sur ordre du préfet. Intitulé sobrement Tableau dans l’expo du MAM, il est désigné dans les catalogues et monographies sous de nombreux autres titres : Nu au châle, Le Châle espagnol, Nu aux pigeons, Le Mendiant d’amour, La Femme aux pigeons… Je n’ai pas trouvé d’image qui rende justice à cette œuvre saisissante. On y voit une grande femme à peau très blanche, écartant d’une main un grand châle fleuri à franges, sous lequel elle est nue – à part des bas moutarde. Dans le coin, en bas et à droite du tableau, est accroupi un homme nu à la peau gris sombre, l’air d’un squelette, qui tient un bout des franges du châle ; il est beaucoup plus petit que la femme. Pour ce tableau, et bien d’autres encore, dont ceux peints en 1910-11 en Espagne et au Maroc, comme ces Marchandes d’herbes aux yeux rouges et fixes, Van Dongen mérite amplement une visite.
images provenant du site Impasse des Pas Perdus qui en recèle un grand nombre