Semprún et les blessures de l’Histoire

« Ma vie n’est pas comme un fleuve, surtout pas
comme un fleuve toujours différent, jamais le même,
où l’on ne pourrait se baigner deux fois : ma vie
c’est tout le temps du déjà-vu, du déjà-vécu, de la répétition, du
même jusqu’à la satiété, jusqu’à devenir autre, étrange. »
Jorge Semprún, Quel beau dimanche.

Il faut s’être perdu(e) plusieurs fois, plus d’une fois dans la mémoire enneigée de cet homme pour apprécier ce qui relève de la difficulté à se souvenir et ce qui appartient à la désinvolture du récit. S’être perdu(e) à plus d’un titre dans Le Grand Voyage, Quel beau dimanche !, L’écriture ou la vie et Le mort qu’il faut, où l’écrivain renoue les fils de sa déportation à Buchenwald de 1943 à 1945, pour sentir l’Histoire faire corps avec la vie.

Car, hormis les livres qui partagent avec nous l’expérience directe des camps – textes douloureux et tardifs, écrits entre 1963 et 2001 – les œuvres de Jorge Semprún, fils de la République espagnole, jeune résistant, (déporté-survivant), haut responsable d’un parti communiste clandestin, ministre de la culture démissionnaire, nous jettent au cœur d’existences accomplies quelque part entre politique, érotisme et lucidité sur le monde. Jouant avec les codes du polar, du roman d’espionnage ou de l’autobiographie, l’écrivain témoigne de vies tramées dans une Histoire dont elles ne cessent de méditer et d’approfondir les grandes blessures : chute de la République de 36, fascisme européen, communisme stalinien, possibilité d’un mal radical chez l’homme…

C’est à l’écoute de cette mémoire mettant son présent et le nôtre constamment à l’ouvrage que nous vous convions pour le dernier rendez-vous annuel et ensoleillé de L’Œil Bistre.

La lecture aura lieu dimanche 12 juin 2011 à 17 h au café L’Apostrophe, 23 rue de la Grange-aux-Belles, 75010 Paris – stations de métro : Jacques Bonsergent (ligne 5) ou Colonel Fabien (2). Informations : oeilbistre (arobase) gmail (point) com ou page Facebook « œilbistre ».

Paul Auster, le hasard et la complexité


« Les histoires n’arrivent qu’à ceux qui sont
capables de les raconter.
De même, les expériences ne se présentent
qu’à ceux qui peuvent les vivre. »
Paul Auster

Pour sa prochaine séance de lecture, le groupe de l’Oeil Bistre propose un auteur que j’aime beaucoup et depuis longtemps… En attendant la sortie de son prochain roman, Sunset Park, retour sur une oeuvre des plus originales.

 

Hasard et coïncidences, identités et origines, échec, errance, perte de la capacité d’être au monde : les livres de Paul Auster reprennent inlassablement une quête obsessionnelle à laquelle seule l’écriture peut répondre. Depuis 1988, quand est paru en français le premier volume de sa Trilogie new-yorkaise, et à travers une vingtaine de romans, plus quelques essais et recueils divers, cet auteur américain poursuit son exploration. Les méandres de la mémoire, les convergences incongrues du quotidien, les rencontres improbables sont ses outils pour élucider les rapports complexes entre réel et illusion. Ils alimentent des narrations qui progressent, entre les jeux de miroir et les mises en abyme, pour dire le sentiment d’un désastre imminent, celui de la perte des repères, celui de la tentation du néant. Pourtant ces récits n’ont rien d’abstrait et se situent précisément par rapport à l’histoire et la géographie des Etats-Unis. Ils évoquent fréquemment l’univers urbain où ses personnages se croisent selon des figures subtiles et des parcours incertains.

 

Passionné de cinéma (il avait tenté le concours de l’IDHEC et a fini par réaliser plusieurs films, notamment Smoke et Brooklyn Boogie en collaboration avec Wayne Wang), Auster est aussi un ardent francophile, traducteur en anglais de grands auteurs : Mallarmé, Sartre, Blanchot, Bataille, René Char…

 

« Dans la vie, on fait rarement l’expérience de pénétrer le cerveau d’un autre. Seule la littérature offre cette possibilité : habiter l’esprit de gens qui ne sont pas nous. C’est pour ça que nous aimons lire. C’est pour ça que la lecture est si belle, si provocante, si humaine : parce qu’elle nous permet de partager avec les autres quelque chose d’intime. » Paul Auster

 

La lecture aura lieu le dimanche 10 avril 2011 à 17 h au café L’Apostrophe, 23 rue de la Grange-aux-Belles, 75010 Paris  – stations de métro : Jacques Bonsergent (ligne 5) ou Colonel Fabien (2). Informations : oeilbistre (arobase) gmail (point) com

Sous le manteau

Selon la formule prêtée à Dostoïevski, tous les grands écrivains russes sont sortis du « Manteau » de Gogol.

Gogol_karandash« On emporta Akaky Akakiévitch, et on l’enterra. Et Pétersbourg resta sans Akaky Akakiévitch. Ce fut comme s’il n’eût jamais existé. Il disparut, cet être que personne ne protégeait, que personne ne chérissait, auquel nul ne s’intéressait, qui n’avait même pas attiré l’attention du savant, lequel pourtant ne perdra pas l’occasion d’examiner au microscope le moindre moucheron, − cet être qui supportait humblement les railleries de ses collègues et qui était descendu au tombeau sans avoir accompli quelque action remarquable, mais auquel, malgré tout, juste à la fin de ses jours, était apparue sous l’aspect d’un manteau neuf, une vision radieuse qui avait pour un instant illuminé sa pauvre existence, cet être sur lequel ensuite s’était acharné le malheur, comme il s’acharne parfois sur les puissants de ce monde…  » Gogol, Le Manteau, 1843

Le groupe de lecteurs « L’Œil bistre au comptoir »,  sous la houlette de Marc Le Monnier, vous convie à découvrir ce que cache ce manteau… et vous donne rendez-vous le dimanche 8 novembre à 17 heures, « Aux Tontons flambeurs », 8 rue de la Main d’or, 75011 Paris, métro Ledru-Rollin,  pour assister et/ou participer à ces rencontres.

PS du 13 novembre

lesamesmortes

 

A signaler, la parution des Ames Mortes dans une nouvelle édition de poche aux éditions Verdier, dans une traduction d’Anne Coldefy-Faucard.