Un rêve qui ne rêve pas

D’où vient que l’on « accroche » ou pas à un film ou une pièce de théâtre ? Pas toujours facile d’avoir la réponse. Ainsi la pièce de Jon Fosse Rêve d’automne, vue mercredi 12 au théâtre de la Ville, avait tout pour me plaire. J’avais été intéressée par le programme Les visages et les corps organisé au musée du Louvre avec Patrice Chéreau, programme au cours duquel cette pièce avait été représentée ; aussi quand j’ai appris qu’elle était reprise au théâtre de la Ville, j’ai eu envie de la voir. Les acteurs aussi m’attiraient, Valeria Bruni-Tedeschi, Pascal Greggory, Bulle Ogier. Je ne connaissais pas l’auteur (norvégien) de la pièce, mais je me suis dit que ce serait une découverte à faire.

Valeria Bruni-Tedeschi et Pascal Greggory - Image Theatre de la Ville

Ennui. Je me suis ennuyée (pour rester polie). Pourtant Jon Fosse, et Chéreau avec lui, posent les bonnes questions. « Les hommes vivent longtemps encore quand tout semble mort en eux, c’est sans doute ce qu’on appelle la vie de tous les jours », dit le metteur en scène. J’ai été agacée par des postures, des gestes si peu naturels qu’on se demande interminablement pourquoi ils sont accomplis ; par la voix à la fois criarde et enrouée de VBT ; par un dialogue répétitif à l’excès (pourquoi ce qui produit tant d’effet chez Thomas Bernhard par exemple n’y parvient pas ici ?)

En fin de compte, ce que j’ai le plus apprécié, c’est le décor (dû à Richard Peduzzi), le coin (en diagonale) d’un grand hall peint en rouge sombre, ouvrant sur d’autres salles où l’on devine des tableaux. Le décor recrée le lieu où la pièce a été d’abord donnée, et non celui où elle est censée se passer (un cimetière). Cela ne pose pas problème.

Les mystères de l’amour

Voilà un film qui ne peut pas laisser indifférent : Persécution, de Patrice Chéreau. Un superbe portrait, un personnage presque en permanence à l’écran et sur lequel tout est centré : Daniel (Romain Duris), un garçon dans la trentaine, un écorché vif, mal dans sa peau, que tout dans la vie agresse et qui agresse en retour. Intransigeant dans son désir d’absolu, cruel (involontairement sans doute…) avec ceux qu’il aime le plus, exaspérant souvent, touchant parfois.

Romain Duris - image Allociné

Autour de lui, sa petite amie Sonia, son copain Michel sont les cibles de ses attaques et de son immense besoin d’amour. Persécuteur, Daniel va être à son tour objet de perécution : un inconnu (Jean-Hugues Anglade, époustouflant) l’espionne, s’introduit chez lui, le harcèle de son amour. Patrice Chéreau a abondamment expliqué lors de la sortie du film qu’il s’agit d’une situation vécue ; il n’en reste pas moins que c’est une formidable idée, au plan du scénario, pour montrer comment, dans les relations amoureuses (et même humaines tout simplement) chacun est constamment – même si ce n’est pas au même degré que Daniel – persécuteur et persécuté.

Jean-Hugues Anglade - image Allociné

C’est ce que le film de Chéreau déroule sans complaisance, dans ce « monde sans pitié » du Paris de 2009 où Daniel va de chantier en bistrot, monde urbain d’où la nature est totalement absente. Monde où la violence du réel s’impose à chaque instant (la superbe scène d’ouverture dans le métro, l’accident de moto…) Avec des dialogues précis, sans rien de trop, d’une justesse impitoyable. Alors bien sûr, cela peut ne pas plaire (ce n’est pas fait pour séduire), surtout si votre vie n’a jamais été qu’un long fleuve tranquille – mais c’est rarement le cas…

J’ai survolé les critiques et constaté que le film ne faisait pas l’unanimité, en effet. Mais l’article de Jean-Luc Douin dans le Monde rend justice à Chéreau. Encore une chose : ne partez pas dès la première seconde du générique de fin. Il a pour fond sonore une magnifique chanson, Mysteries of Love de Anthony & the Johnsons[1].


[1] L’article du Monde m’apprend qu’il s’agit d’une une chanson écrite par David Lynch et Angelo Badalamenti pour le film Blue Velvet (1986).