Vrai culte et faux tombeau

En voyage au Mexique, j’ai visité le mardi 16 juillet 2013 la bourgade d’Ixcateopan, située dans le nord de l’État de Guerrero, à environ 170 km de la capitale. Cette visite était imprévue, pour des raisons qui n’ont pas leur place dans ce récit ; le fait qu’elle ait été improvisée rend toutefois la coïncidence intéressante.

Ixcateopan, dont le nom s’orthographie aussi (et se prononce) Ichcateopan, est connue au Mexique depuis 1949 pour être le lieu où ont été retrouvés les prétendus restes de Cuauhtémoc, le dernier tlatoani (empereur) aztèque, mis à mort en 1525 par les armées de Cortés. Je dis bien « prétendus » car cette découverte, devenue localement une légende officielle (dès 1950, le Congrès de l’État de Guerrero a décidé d’ajouter « de Cuauhtémoc » au nom de la ville), est fortement contestée par les autorités archéologiques du pays (voir ci-après).

(source : site officiel de l’État de Guerrero)

(source : site officiel de l’État de Guerrero)

Le nom d’Ixcateopan proviendrait d’un mot nahuatl dérivant des termes « ichacates » et « moteopan » qui signifient « voici le seigneur grandement respecté ». En effet, le village s’appelait autrefois Zompancuahuithli (nom dont je n’ai pas retrouvé l’origine) puis fut renommé Ixcateopan à partir du transfert de la dépouille de Cuauhtémoc en 1529. Le glyphe du lieu sur le Codex Mendoza (cf. image) comprend une pyramide et une fleur de coton, correspondant à une autre étymologie : de « ixcatl », coton, et « teopantli », temple (puisque les pyramides étaient des temples). On l’appelle aussi parfois « le village du marbre » car les rues en sont pavées de dalles de marbre blanc et ornées de dessins et d’inscriptions en marbre noir.

En arrivant à Ixcateopan, on est accueillis par une pyramide miniature, monument en l’honneur du héros national érigé à l’entrée du village. Pour atteindre l’église Nuestra Señora de la Asunción (Notre-Dame de l’Assomption) qui abrite désormais le « tombeau », et qui a été à cette fin désacralisée et définie comme musée, il nous a fallu faire maints tours et détours, car la rue principale était en travaux : on restaurait le pavement de marbre. En face du monument, deux ou trois ouvriers travaillaient à replacer des dalles, deux ou trois autres étaient nonchalamment allongés sur les tas de pierres extraites.

"....et un groupe de jeunes gens vêtus de pantalons blancs et de chemises vertes, sans doute les musiciens, attendent à l’extérieur." (photo ELC)

« ….et un groupe de jeunes gens vêtus de pantalons blancs et de chemises vertes, sans doute les musiciens, attendent à l’extérieur. » (photo ELC)

A côté de l’enclos de l’ancienne église se trouve une autre chapelle, peinte de blanc et mauve, de construction moderne, où une messe est en cours. Des instruments de musique sont posés sur le trottoir, et un groupe de jeunes gens vêtus de pantalons blancs et de chemises vertes, sans doute les musiciens, attendent à l’extérieur. Dans l’enclos, une quinzaine d’hommes attendent aussi, les uns assis, les autres debout. Ce sont des danseurs. Ils sont tous vêtus de costumes de couleur éclatante (quoique un peu défraîchis), de satin rouge ou bleu. Les rouges sont habillés en femmes… et portent aussi des bas de coton beige comme en avaient nos grand-mères. A notre demande, ils nous disent qu’ils vont exécuter la danse appelée « Moros y Cristianos » (Maures et Chrétiens), mais ce n’est pas encore le moment. (J’y reviendrai plus tard.) On entre dans l’ex-église par la porte latérale ; le portail, qui donne sur une cour en belvédère, du côté opposé à la rue, est lui aussi largement ouvert, et la lumière a envahi l’espace. Le mobilier a été enlevé ainsi que tous les signes du culte catholique.

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Dans le chœur, à la place du maître autel, se trouve le squelette exhumé et exposé dans une châsse de verre. Au-dessous de la châsse, qui est légèrement surélevée, on peut voir l’endroit supposé de la découverte, à faible profondeur. Au mur du fond de l’abside, une grande figure peinte de Cuauhtémoc, tel qu’il est représenté dans les codex. Au pied de la châsse, des bouquets de roses blanches fanées et une veilleuse. Sur les côtés de l’église, encore des panneaux et images diverses à la gloire du héros local – mais aussi les bonnets tricotés et bariolés que vend une marchande et une affiche pour un cours de danse traditionnelle. La marchande de bonnets nous dit que c’est aujourd’hui la fête de la Carmelita, la Vierge du Carmel.

Il n’y a apparemment personne d’autre aujourd’hui que les habitants d’Ixcateopan, mais c’est à la fin de février que se célèbrent les grandes fêtes locales, pour commémorer la naissance de Cuauhtémoc (le 23 février 1496, ou 1497, ou 1501) et sa mort (le 28 février 1525). La légende qui s’est emparée du personnage le fait naître également ici où sa mère, Cuayauhtitali, aurait été la fille du seigneur local. Il est dit également qu’après leur exécution, les restes de Cuauhtémoc, des autres dignitaires aztèques mis à mort avec lui, ainsi que ceux d’un prêtre qui s’opposait à ces exécutions, furent transportés à Ixcateopan et enterrés en ce lieu en 1529 (en dépit du fait que l’église n’a été construite qu’après 1550). Dès lors et jusqu’au milieu du 20e siècle, l’emplacement du tombeau était resté inconnu.

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Mais Cuauhtémoc, entre temps, est devenu un symbole de l’identité culturelle mexicaine, et singulièrement de son identité indigène, dont il est de bon ton de se réclamer. Aussi, lorsqu’en 1949 l’historienne Eulalia Guzmán proclame avoir retrouvé les ossements du dernier empereur, les dirigeants en place se hâtent de lui emboîter le pas sans chercher plus loin. Les archéologues n’ont guère été écoutés. « Une donnée fondamentale dans cette affaire était de savoir si les couches couvrant la fosse qui contenait les ossements et la plaque qui les couvrait étaient intactes, car dans ce cas ce qui se trouvait en dessous aurait été parfaitement scellé. Toutefois, il n’en était pas ainsi. Il n’y avait pas eu de contrôles archéologiques durant le processus de fouilles, ni de journal de terrain où aurait été noté ce qui se faisait au jour le jour », note Eduardo Matos Moctezuma dans la revue Arqueología Mexicana.

« Qu’est-ce que nous allons faire de la dame ? » demanda en 1976 le président Luis Echeverría au gouverneur du Guerrero Rubén Figueora, devant le rapport de la troisième commission chargée d’examiner le dossier : celle-ci ayant conclu que le crâne, appartenant à une jeune femme métisse, ne pouvait être celui de Cuauhtémoc. Le reste des ossements provenait de huit individus distincts. Ces conclusions rejoignaient d’ailleurs celles des experts professionnels émises en 1949 et 1951 sur l’absence de preuves scientifiques de la découverte d’Eulalia Guzmán. Mais selon l’historienne Alicia Olivera, également membre de la commission, la validation de la découverte constituait pour le gouverneur Figueroa une opportunité politique grandiose. L’État du Guerrero pourrait ainsi être rappelé comme étant le berceau d’un héros national martyr et non plus seulement comme le lieu de la « guerre sale » des années 60… (Un récit des expertises successives est publié en ligne par le site « Guerrero Cultural » regroupant la Fondation Académique du Guerrero et le Colegio de Guerrero).

Monument à Cuauhtémoc à Vera Cruz (image Wikipedia)

Monument à Cuauhtémoc à Vera Cruz (image Wikipedia)

Les gens du cru ne s’en préoccupent guère, semble-t-il. Le culte de Cuauhtémoc n’a fait que croître et embellir, le cinquantenaire de la découverte a été célébré en 1999. Qu’importe au fond que le squelette exposé dans l’ancienne église de l’Assomption ne soit pas le sien ? Les reliques de saints catholiques sont souvent d’origine douteuse, cela ne les empêche pas de produire des miracles… Quoi qu’il en soit, lorsque nous sommes sortis de l’église, les danseurs n’étaient pas encore prêts ; ils attendaient la fin du service religieux. La danse qu’ils s’apprêtaient à représenter, « Moros y Cristianos », venue d’Espagne en 1538, se transmet traditionnellement au Mexique depuis le 16e siècle. « Les Indiens, qui y jouaient à l’origine seulement les rôles des Infidèles, assurèrent progressivement les rôles des victorieux chrétiens espagnols guidés par l’apôtre Paul/Cortés dans leur reconquête de la foi chrétienne. La représentation de cette Danse des Maures et Chrétiens par les Indiens vaincus actualisait ainsi constamment la reconnaissance de la domination de l’empire espagnol et de sa religion », indique P.-A. Baud (La danse au Mexique : art et pouvoir, éd. de L’Harmattan, 1995). Quatre siècles plus tard, cette danse est toujours perpétuée, pour célébrer une fête chrétienne (celle de la Vierge du Carmel) devant un mausolée dédié à un héros national précolombien… Mais je ne suis pas restée regarder les danseurs. Dans la mesure où cette manifestation n’est pas un spectacle, il y aurait eu là, me semblait-il, quelque chose d’inconvenant. Je n’ai fait que prendre une photo unique des danseurs en attente, de loin et avec un sentiment fugitif de honte. Le photographe est souvent un prédateur.

(sauf autrement indiqué, les images sont de l’auteur)

Manuel Álvarez Bravo : au-delà de l’emblème

« L’atelier de Don Manuel [à Coyoacán] était une maison de village
qu’il avait aménagée et peinte en bleu. Autour de la cour, il y avait
un atelier haut de plafond pour la photo et pour écouter de la musique,
une chambre noire d’où sont sortis des joyaux qu’il tirait
avec la plus grande dévotion, et plusieurs autres pièces. »
Pablo Ortiz Monasterio, Un après-midi avec Don Manuel

 

Manuel Álvarez Bravo a vécu pendant un siècle tout juste (1902-2002) et son œuvre photographique « constitue un jalon essentiel de la culture mexicaine du XXe siècle. À la fois étrange et fascinante, sa photographie a souvent été perçue comme le produit imaginaire d’un pays exotique, ou comme une dérive excentrique de l’avant-garde surréaliste. »

Ondas de papel (Vagues de papier), vers 1928

Ondas de papel (Vagues de papier), vers 1928

L’exposition du musée du Jeu de Paume, sous-titrée Un photographe aux aguets (jusqu’au 20 janvier 2013), veut dépasser ces lectures pour montrer de manière thématique les orientations de sa recherche. « S’il est vrai que l’histoire de la photographie reconnaît en Don Manuel  – comme on l’appelle respectueusement au Mexique – la grande figure de la photographie mexicaine, il n’en est pas moins vrai que l’analyse critique de son œuvre est toujours passée par le tamis du regard occidental européen et américain, prompt à coller des étiquettes de folklorisme, de mexicanité et de surréalisme », écrit Marta Gili (sur le site du musée). « L’exposition du Jeu de Paume veut sortir de ce chemin tout tracé pour proposer une analyse de l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo qui la libère de cette vision hégémonique et lui donne sa juste place au croisement entre la photographie moderne au Mexique et son propre regard personnel d’auteur. »

La hija de los danzantes (La fille des danseurs), 1933

La hija de los danzantes (La fille des danseurs), 1933

« Sans nier le lien avec le surréalisme ou les clichés liés à la culture mexicaine, cette sélection de 150 images vise à mettre en lumière un ensemble spécifique de motifs iconographiques dans le travail de Manuel Álvarez Bravo : les reflets et trompe-l’œil de la grande métropole ; les corps gisants, réduits à de simples masses ; les volumes de tissus laissant entrevoir des fragments de corps ; les décors minimalistes à l’harmonie géométrique ; les objets à signification ambiguë… » Elle confronte ses images les plus célèbres (comme La Bonne Renommée endormie ou l’Ouvrier en grève assassiné) à de courts films expérimentaux des années 1960, provenant de ses archives familiales.

Ruina das ruinas (Ruine des ruines), années 1930

Ruina das ruinas (Ruine des ruines), années 1930

Álvarez Bravo a connu tout au long de ce XXe siècle les profondes transformations qui ont affecté son pays à partir de la Révolution de 1910 : éloignement progressif de la vie rurale et des coutumes traditionnelles, émergence d’une culture cosmopolite, modernité et effervescence de la grande ville. Il a cultivé des liens forts avec le monde de l’art, avec d’autres photographes (Edward Weston, Tina Modotti, Cartier-Bresson…) des peintres (Diego Rivera, Pablo O’Higgins), des poètes (Xavier Villaurrutia, l’auteur du très beau livre Nostalgie de la mort).Il conquit l’admiration d’André Breton, lors de son voyage de 1938 au Mexique. Dès avant la 2e guerre mondiale, ses images étaient largement diffusées aux États-Unis et en Europe.

El ensueño (Le songe), 1931

El ensueño (Le songe), 1931

« C’est un photographe de paysages tranquilles et d’individus solitaires, silencieux, presque toujours de dos, parfois endormis. C’est un photographe froid, lent, de solitudes et de quiétudes : un chasseur d’images, un artiste aux aguets. » (Laura González Flores et Gerardo Mosquera, commissaires de l’exposition).

Pour ma part, j’aime particulièrement celles de ses photos qui exploitent une vision quasi abstraite des formes (comme les feuilles de papier), ainsi que celles qui appartiennent au regard surréaliste. Leurs titres souvent décalés dialoguent avec les images et nous orientent vers d’autres lectures. Et vers de longues patiences.

Portrait du photographe provenant du site officiel qui lui est consacré

Portrait du photographe provenant du site officiel qui lui est consacré

Site officiel de la fondation Manuel Álvarez Bravo
Bel article de Laurent Aubague dans la revue Amerika : Manuel Álvarez Bravo, photographe mexicain de l’abstraction figurative http://amerika.revues.org/1980
Toutes images : © Colette Urbajtel/Archivo Manuel Álvarez Bravo, SC
Citations provenant du site du musée

Le Mexique de Jack Kerouac

 

 

La Revue des Ressources, qu’elle en soit remerciée, me fait l’amitié de publier sur son site un extrait de mon livre Le Mexique, un cas de fascination littéraire (éd. de L’Harmattan) ; plus précisément, du chapitre consacré aux séjours mexicains des écrivains de la Beat Generation.

Nom de Codex 385

 

 

 

Parmi les documents des siècles passés parvenus jusqu’à nous, il en existe une catégorie qui  ne manque jamais de m’attirer, celle des codex mexicains. A cause de leur intérêt esthétique, mais aussi parce que ce sont des  traces concrètes du processus qui a fait du Mexique, en l’occurrence, ce qu’il est de nos jours. Ainsi me suis-je précipitée à la conférence donnée le 26 avril à la galerie Colbert par Laurent Héricher, conservateur au département des manuscrits de la BNF, et José Contel, maître de conférences à l’Université de Toulouse-IRIEC, pour présenter une pièce rare appartenant à la BNF, le manuscrit portant la cote 385, le Codex Telleriano Remensis. Chose exceptionnelle, ce codex avait été autorisé à sortir des murailles de la BNF à cette occasion, et les auditeurs de la conférence ont pu le voir dans sa quasi-totalité en projection à l’écran, tandis que deux acolytes, dans l’ombre, tournaient avec précaution ses pages fragiles.

 

Le folio 8 du codex 385, l'image centrale représentant le dieu Quetzalcoatl

 

Le codex 385 fait partie de ceux que l’on appelle « coloniaux », par opposition à ceux qui remontent à la période préhispanique (les rares qui ont échappé aux autodafés des conquistadores ; on en connaît une quinzaine). Les codex coloniaux ont été réalisés par des artistes indigènes, les tlacuiloque (mot dérivé du nahuatl). Ils comprennent des représentations picturales accompagnées de commentaires en nahuatl et/ou en espagnol.

 

Réalisé dans les années 1550, le codex 385 a fait partie d’abord de la collection de l’archevêque de Reims, Charles Maurice Le Tellier (d’où le nom actuel donné à ce manuscrit), qui en a fait cadeau en 1700 au roi Louis XIV. Le document comprend aujourd’hui 50 pages ; mais on sait qu’il est incomplet, car le grand explorateur Alexandre de Humboldt en avait fait la description en 1810, et il comptait alors 96 pages. La reliure d’origine a également disparu. Le manuscrit est resté inachevé ; les dernières pages comportent des textes, mais les espaces délimités pour les illustrations n’ont pas été remplis. Le codex 385 est aussi un objet hybride, parce que composé de papier européen, fabriqué – ce que révèlent les filigranes – à Gênes ou à Perpignan autour de 1550, ce qui permet une datation approximative de l’ouvrage.

 

Le Codex Telleriano Remensis est composé de trois parties : le premier est un calendrier aztèque de type xiuhpohualli (« compte des années »). Ce calendrier comprenait 18 périodes de 20 jours, plus, pour compléter l’année, cinq jours « néfastes ». C’est là notamment que des pages manquent au manuscrit, celles qui auraient dû porter sur les six premières vingtaines. La deuxième partie est un calendrier divinatoire (tonalpohualli ou « compte des destins »). Celui-là comprenait 20 périodes de 13 jours, de sorte que les deux calendriers ne coïncidaient que tous les 52 ans, ce qui est la longueur du cycle temporel des Aztèques. La troisième partie (environ la moitié de la pagination) est constituée d’annales historiques des temps préhispaniques et coloniaux.

 

Les images – aux couleurs si fraîches – montrent notamment les fêtes correspondant à chaque date. (Détail touchant, les pages vierges portent des traces d’essais de plume gribouillés par les scribes…) Les commentaires en nahuatl expliquent ce dont il s’agit ; les gloses en castillan en font souvent une interprétation visant à « récupérer » les figures et les rites dans un sens chrétien. La première transcription de ces gloses fut effectuée en 1899 par Ernest Hamy, fondateur de la Société des Américanistes et du Musée d’Ethnographie du Trocadéro. Miracle d’Internet, on peut trouver et télécharger cette transcription sur le site de la FAMSI (Foundation for the Advancement of Mesoamerican Studies Inc.)

(Image Wikimedia Commons)

« Au pays des chiens morts »

« Le Mexique est un pays où il faut rester longtemps,
alors on cesse d’y être des voyageurs et il se referme sur vous
avec une puissance dont je n’essaierai pas
de vous décrire ici les effets ».
André Pieyre de Mandiargues,
Quatrième Belvédère

Ecrire un livre, le publier, quand on a la passion de la lecture, c’est souvent un rêve. Et voilà que quelquefois, le rêve se réalise et c’est ce qui vient de m’arriver… je publie mon premier livre, il vient de sortir et j’éprouve, à côté de la joie et de la fierté, une sorte d’égarement, comme si je ne savais pas encore comment réagir.

Rassurez-vous, ce n’est pas un roman, c’est un essai. « Le Mexique, un cas de fascination littéraire »… Il porte donc sur la fascination que le Mexique exerce depuis bien longtemps sur les écrivains (de langue anglaise ou française) qui l’ont visité, au point que certains y ont longuement séjourné et en ont fait la matière de leurs fictions. Une fascination qui ne manque pas d’ambiguïté et dont mon propre livre n’a sûrement pas épuisé les aspects complexes. Voici ce que dit le communiqué de presse :

Durant les cinq siècles écoulés depuis que Hernan Cortés mit pied, en 1519, sur l’île de Cozumel, au large de la terre du Yucatán, la fascination des Européens pour le Mexique ne s’est jamais démentie. Certains sont passés à l’acte, se sont embarqués dans des voyages longs et hasardeux, pour y chercher fortune ; d’autres se sont contentés de rêver inlassablement à un Mexique imaginaire, peuplé d’Indiens mystérieux et de serpents emplumés.

Au fil du temps, les espoirs matériels des uns, tout comme les songes incertains des autres, se sont nourris de livres. Au 20e siècle, un certain nombre d’écrivains ont fait une expérience particulière : celle d’avoir séjourné au Mexique de manière relativement durable (au moins plusieurs mois) et d’avoir fait de leur vision de ce pays la base de textes de fiction, écrits soit sur place, soit à leur retour, « à tête reposée ». Que cherchaient-ils, qu’ont-ils trouvé, et dans quelle mesure les réponses à ces deux questions peuvent-elles coïncider ?

C’est à ces interrogations que ce livre tente de répondre, à partir des livres de nombreux auteurs de fictions en langue anglaise et française, comprenant des œuvres majeures représentatives du thème proposé, comme celles de D.H. Lawrence et de Malcolm Lowry, ou des cas emblématiques comme ceux d’Antonin Artaud ou J.M.G. Le Clézio. Il examine comment une telle relation de fascination – ou plutôt de fascination/répulsion – des écrivains envers le Mexique a pu se développer et ce qu’elle a de commun avec l’attraction qu’il exerce souvent sur les voyageurs étrangers. Il établit, à travers l’étude des textes, un panorama détaillé des auteurs concernés et des modalités particulières de leur relation à ce pays si mystérieux. Enfin, il dégage des perspectives générales sur l’approche que les auteurs ont pu avoir du Mexique sur place, sur les diverses influences auxquelles ils ont pu être sujets (utopies, exotisme, primitivisme…) et sur l’apport de leur séjour à leur œuvre littéraire.

« Avec ce livre profond et très documenté, Elizabeth Legros Chapuis nous invite à connaître les auteurs et les œuvres qui se sont approchés du Mystère mexicain par la création littéraire. (…) Autant qu’un parcours entre des œuvres, ce livre est une invitation à la réflexion sur les liens entre littérature et espace géographique, entre la pulsion créative d’auteurs et l’influence du lieu où ils se situent. »

(Philippe Ollé-Laprune)

On peut aussi consulter la fiche du livre sur le site des éditions de l’Harmattan, où il est disponible également sous forme de e-book.
Comme c’est souvent le cas, l’éditeur a souhaité un changement de titre : mon titre initial est devenu le sous-titre du livre.
PS – Le livre est référencé à la FNAC et on le trouve aussi chez Amazon – ou directo chez l’éditeur.

Felguérez, puissance et sensibilité

Il me semble toujours difficile d’écrire sur la peinture abstraite. Il est évident qu’il s’agit d’un langage, mais dont l’interprétation n’est pas nécessairement facile et peut donner lieu à des distorsions subjectives. Je vais néanmoins essayer de dire deux ou trois choses à propos de l’œuvre d’un peintre abstrait, le Mexicain Manuel Felguérez.

Manuel Felguérez : Doble fuga

Manuel Felguérez : Doble fuga

Le travail de Manuel Felguérez fait actuellement l’objet d’une grande exposition rétrospective à México, au musée du Palacio de Bellas Artes (Palais des Beaux-Arts). « Bellas Artes », comme on le nomme communément là-bas, n’est pas seulement l’Opéra et l’académie de musique de México. Ce splendide bâtiment néo-baroque du début du 20e siècle  abrite en outre des fresques des grands muralistes mexicains, Diego Rivera, Orozco, Siqueiros, etc., plusieurs salles de conférences et un musée qui jouit du plus grand prestige. Etre exposé là signifie une véritable consécration.

 

Manuel Felguérez : Accion ritual

Felguérez, aujourd’hui octogénaire, est originaire de l’Etat de Zacatecas situé dans le nord du Mexique (qui, ne l’oublions pas, est une république fédérale, tout comme les USA.) Il a fait ses études artistiques en France à l’Académie de la Grande Chaumière où il a été, dans les années 1950, l’élève de Zadkine. Il s’exprime à la fois en peinture et en sculpture.

 

Au début de sa carrière, il a développé un langage, justement, basé sur la combinaison de formes géométriques élémentaires (le titre de l’expo est d’ailleurs « Invention constructive »). Son application aboutit à des œuvres assez austères. J’avoue avoir été bien davantage attirée par sa production des dix dernières années, où il s’est orienté vers une abstraction beaucoup plus libre dans ses formes. Tableaux de grands formats, d’autant plus puissants qu’il reste très sobre dans ses coloris, avec beaucoup de noir et blanc, de brun, juste parfois quelques taches de rouge ou bleu. (Des choix qui rappellent un peu le Soulages ancien, avant qu’il ne se consacre exclusivement à l’ « outrenoir ».) J’aime aussi ses titres qui, je crois, illustrent le goût toujours vif des artistes mexicains pour le surréalisme.

 

Manuel Felguérez : Rumor de cristales

Quelques liens (en espagnol) pour en savoir plus :

• Galerie Lopez Quiroga

• Site Mexico Desconocido (d’où proviennent les images)

• Biographie

Des gens sans nom

J’avais envie de cinéma et j’ai hésité un moment sur le choix du film. J’étais tentée par les Herbes folles de Resnais mais le film venait juste de sortir et j’ai craint une affluence excessive. J’ai donc décidé d’aller voir Sin Nombre, film américano-mexicain qui n’avait rien de commun avec mon choix précédent : un premier film, un réalisateur et des acteurs inconnus de moi.

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Suédois par sa mère, japonais par son père, américain de naissance, Cary Joji Fukunaga a tourné son premier film en Amérique centrale. Pendant des mois, il a recueilli le témoignage de victimes ou d’anciens membres des gangs qui sévissent dans la région. Il a aussi partagé le quotidien des émigrés clandestins. De ce riche matériau documentaire qu’il a converti en fiction, il tire un film fort et pessimiste. Une oeuvre au noir, hantée par des personnages traqués, cherchant coûte que coûte à s’arracher à leur condition.

Au Mexique, un jeune homme enrôle un gamin des bidonvilles dans un gang aux moeurs sanglantes, la Mara. Pendant ce temps-là, une adolescente originaire du Honduras monte clandestinement à bord d’un train en direction des Etats-Unis. En rébellion contre la Mara, le garçon en fuite croise la fille sur la route de son exil…  Mathilde Blottière (Télérama, 24 octobre 2009)

 

Comment on dit « no future » en espagnol ? Car il n’y aura pas de happy end et quel que soit le moyen choisi par les personnages pour essayer de s’en sortir, leur tentative, on le voit très vite, est vouée à l’échec. Plus triste encore que le destin des deux héros, celui du gamin qui est recruté au début du film : Benito, dit Smiley, un gosse de douze ans, tout au plus, peut-être moins. Une sorte de Gavroche mexicain. Que deviendra-t-il, on n’en sait rien, mais contraint à tuer dès son entrée dans le gang, comment fera-t-il pour porter ce poids ?

 

Le film est par moments incroyablement dur et j’avoue avoir plusieurs fois détourné les yeux. Savoir qu’il reflète la réalité – et non les fantasmes « gore » de quelque cinéaste hollywoodien – rend ces images encore plus insupportables. Le contraste apporté par les magnifiques paysages mexicains (sans exotisme hors de propos) ne fait qu’accentuer le désespoir suscité par le film de Fukunaga. Au-delà du destin particulier de tous ces gens « sans nom », c’est aussi le procès de tout un système, planétaire désormais, où la prospérité des uns ne peut exister qu’assise sur la misère des autres.

 

Image : Allociné

 

Cuevas, le Mexicain malgré lui

Dans le paysage artistique du Mexique contemporain, le peintre et sculpteur José Luis Cuevas occupe une place tout à fait particulière. Une notoriété précoce acquise essentiellement à l’étranger, une relation ambivalente avec son pays d’origine, une personnalité de leader et de provocateur font de cet artiste inclassable une figure qui provoque l’attention.

Oeuvre de JL Cuevas (un de ses "autoportraits" devant le Palacio de Bellas Artes. México, juin 08 - photo EL

Oeuvre de JL Cuevas (un de ses "autoportraits") devant le Palacio de Bellas Artes. México, juin 08 - photo EL

En l’année 2008, il s’est trouvé sur le devant de la scène artistique mexicaine avec une grande exposition au Palais des Beaux-Arts (Palacio de Bellas Artes), inaugurée le 5 juin dernier en présence, pas moins, du président mexicain Felipe Calderon Hinojosa. « Bellas Artes », comme on le nomme communément, n’est pas seulement l’Opéra et l’académie de musique de Mexico. Ce bâtiment néo-baroque du début du 20e siècle abrite en outre une galerie d’art (avec des fresques de Diego Rivera, Orozco, Siqueiros, etc.), plusieurs salles de conférences et un musée qui jouit du plus grand prestige officiel et par où sont passés tous les grands peintres et sculpteurs de notre époque, à l’exception, jusqu’à cette année, de… José Luis Cuevas.

>>> On peut lire la suite de mon article sur le site de la Revue des Ressources.

Le Palacio de Bellas Artes (Palais des Beaux-Arts) est le premier opéra de Mexico. Il fut dessiné par l’architecte italien Adamo Boari en 1901 mais sa construction ne fut terminée qu’en 1934. Il comprend un spectaculaire intérieur de style art déco et un majestueux extérieur de style art nouveau. Le poids du bâtiment est si important qu’il s’enfonce petit à petit sur ses fondations (NDLR : la sismicité y est aussi pour quelque chose).

Le site fut choisi par le président Porfirio Díaz au cœur du quartier des affaires, près d’un élégant parc, en face des gratte-ciels construits dans les années 1920-30

Le bâtiment est célèbre par son extérieur extravagant d’art nouveau où le marbre blanc fut importé d’Italie et à l’intérieur ses peintures faites par Diego Rivera, Rufino Tamayo, David Alfaro Siqueiros et José Clemente Orozco. (Wikipedia)

Mandiargues visité par le Mexique


« Le Mexique est un pays où il faut rester longtemps,
alors on cesse d’y être des voyageurs
et il se referme sur vous avec une puissance
dont je n’essaierai pas de vous décrire ici les effets ».

André Pieyre de Mandiargues,
Quatrième Belvédère

Au printemps 1958, André Pieyre de Mandiargues et sa femme Bona s’embarquent sur le navire MS Andrea Gritti à destination du Mexique ; ils vont y passer plusieurs mois. Un séjour qui aura laissé une marque profonde dans l’œuvre de l’écrivain dont c’est en 2009 le centenaire.

A ce séjour mexicain, la Maison de l’Amérique latine consacre actuellement une exposition d’une grande cohérence, portant le titre de « Pages mexicaines ». L’espace dont elle dispose pour les expositions n’est pas très vaste mais la MAL en tire vraiment le meilleur parti.

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Extrait de la présentation : L’exposition présentée à la Maison de l’Amérique latine offre un premier ensemble documentaire où le voyage des Mandiargues au Mexique est évoqué à partir de l’exceptionnel album de photographies en noir et blanc dont Bona est le plus souvent l’auteur. Des extraits de textes de l’écrivain guident le visiteur tout au long de son parcours.

Un second ensemble, composé de manuscrits et de documents originaux, tels que les carnets de travail de Mandiargues, les lettres envoyées à ses amis, le journal de voyage de Bona, donnent à voir les différentes étapes du processus d’écriture et le soin avec lequel le couple garde mémoire des événements.

L’un des prétextes au voyage mexicain fut l’exposition de peintures de Bona à la Galerie Antonio Souza. La troisième salle, consacrée à la galerie, montre, outre les œuvres de Bona, celles d’Alvar Carrillo Gil et Wolfgang Paalen, deux artistes de chez Souza que les Mandiargues ont rencontré durant leur séjour. Cette salle sert de trait d’union avec l’autre partie de l’exposition consacrée aux arts plastiques. Se trouvent rassemblées une vingtaine d’œuvres des trois artistes mexicains majeurs – Francisco Toledo, José Luis Cuevas et Juan Soriano – avec lesquels l’écrivain a dialogué de 1964 à 1989, ainsi qu’une douzaine de photographies du voyage au Mexique de 1934 d’Henri Cartier-Bresson, ami complice de Mandiargues depuis l’adolescence, dont les images ont accompagné la vie.

Par la suite, le Mexique est souvent présent dans l’œuvre de André Pieyre de Mandiargues. Dans les cinq recueils successifs de textes portant le titre de Belvédère, il présente de nombreux textes se rapportant à ce pays. Ce sont essentiellement des évocations de moments de ce voyage (en particulier la série de textes sous-titrée « La Nuit – Le Mexique » dans le Deuxième Belvédère), ainsi que des articles critiques et commentaires sur l’œuvre de poètes ou d’artistes mexicains : Octavio Paz, Francisco Toledo, Alfonso Reyes, José Luis Cuevas.

Sculpture de José Luis Cuevas, "Autoretrato" devant le Palacio de Bellas Artes à México (2008). Photo EL.

Sculpture de José Luis Cuevas, "Autoretrato" devant le Palacio de Bellas Artes à México (2008). Photo EL.

Le Belvédère, premier du titre, contient sous l’intitulé Aigle ou soleil ? une brève étude de l’œuvre d’Octavio Paz, que Mandiargues présente comme « le seul grand poète surréaliste en activité dans le monde moderne » (on est en 1958). La nuit de Tehuantepec est le récit d’une soirée et d’une nuit passées lors des fêtes de Pâques dans la petite ville de Tehuantepec, petite ville de l’Etat d’Oaxaca. Un récit marqué par une atmosphère insistante de rêve éveillé. Enfin, le roman de Mandiargues La Motocyclette est nourri du mythe aztèque du dieu solaire et de l’image des sacrifices humains.