La mort serait-elle à la mode ? Après le musée Maillol au printemps dernier, c’est la Fondation Bergé – Yves Saint-Laurent qui nous propose une exposition sur le thème des Vanités : « Mort, que me veux-tu ? ». (Il a toujours été de bon ton d’apostropher la mort : « O mort, où est ta victoire ? » disait saint Paul, 1e Epître aux Corinthiens, chp 15/55.) Ce n’est certes pas inutile de rencontrer ainsi diverses manières de « penser la mort », alors qu’elle a été soigneusement évacuée de notre environnement quotidien, dans notre époque obsédée de sécurité et de politiquement correct (un dangereux cocktail …), et de permettre qu’elle se rappelle à notre bon souvenir.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Le thème de la représentation de la mort a été à la fois largement répandu et d’une remarquable persistance en Europe sur l’espace d’au moins trois siècles. Il a pris des formes diverses au Moyen Age avec l’architecture funéraire et la pratique de collections de memento mori, crânes et squelettes. « Cette invasion macabre s’est prolongée en France pendant la première moitié du 16e siècle et plus longtemps encore dans les pays germaniques, alors que l’Europe est entrée dans la période de la Renaissance. Elle a touché presque toute la chrétienté occidentale et a même rejoint au Mexique et au Brésil le sens de la mort qu’avaient les Indiens », précise André Corvisier (Les danses macabres, PUF, 1998). A la fin du 16e siècle, « l’existence simultanée du courant mystique et de l’influence franciscaine amène alors un développement dramatique des thèmes macabres, une prolifération et une diversification des oeuvres qui conduisent à une banalisation du macabre ». Cette banalisation qui nous frappe aujourd’hui au Mexique a donc été aussi, en d’autres temps, le lot des pays du Vieux continent… Par la suite, la présence des symboles de la mort s’y est maintenue dans les œuvres picturales dénommées ‘Vanités’ où le crâne, entre autres, côtoyait fréquemment les artefacts destinés à évoquer beauté, richesse et autres valeurs passagères.
Dans son article du 9 juillet, mon collègue Lunettes Rouges a très bien résumé comment cette obsession mortifère a pris des formes diverses dans les pays du Nord et du Sud ; il pointe également les différences entre l’expo de la Fondation Bergé/YSL – dans le local où elle se présente, devenu « un cabinet de curiosités sombre, labyrinthique et mystérieux » – et celle du musée Maillol (pour laquelle je ne serais pas aussi sévère). Il me semble que, grosso modo, entre les deux, la proportion d’œuvres anciennes et contemporaines est inversée (beaucoup plus d’œuvres anciennes chez Bergé que chez Maillol).
Je me bornerai donc à mentionner quelques œuvres qui m’ont particulièrement frappée : la célèbre Vanitas de Philippe de Champaigne (1644) ; celle de Jan Sanders van Hemessen (1535), qui montre un ange aux grandes ailes de papillon, désignant d’une main le crâne qu’il tient dans le creux de l’autre bras ; les photos de morgue d’Andres Serrano (1992) ; le triptyque In case we Die de Sophie Zenon (2009)… sans oublier le Schädel (Crâne) de Gerhard Richter (1983), d’une composition qui atteint la perfection.