La poésie, c’est comme le radium ;
pour en obtenir un gramme,
il faut des années d’effort.
Maïakovski
« Un film qui s’appelle Poésie, ça fiche forcément les jetons. Surtout s’il dure deux heures vingt. Lee Chang-dong a donc pris soin de ne pas nous accueillir avec un pétale tombé sur l’eau mais un cadavre, certes flottant comme une fleur, une Ophélie à la dérive, mais jetée d’un pont industriel. Le titre n’est pourtant pas ironique et de la poésie, il y en aura, sans qu’on sache au juste si elle est empêchement ou adjuvant, s’il faut la chercher ou si l’on peut en mourir. » Eric Loret, Libération
Dans une petite ville de la province du Gyeonggi traversée par le fleuve Han, Mija (65 ans) habite avec son petit-fils Wook, un collégien de 15 ou 16 ans. La mère du garçon, divorcée, est partie vivre à Séoul. Mija (Yoon Jung-hee, une actrice formidable) est une femme active, pleine de bienveillance envers ses semblables ; elle travaille comme aide ménagère d’un vieillard hémiplégique. Elle aime soigner son apparence, arborant des chapeaux dignes de la reine Elizabeth, des jupons de dentelle et des tenues à motifs floraux (la photo ci-dessous donne une idée de son look).
Sur une impulsion, elle décide un jour de suivre des cours de poésie à la maison de la culture de son quartier et, pour la première fois de sa vie, elle tente d’écrire un poème. Suivant avec une application touchante les conseils du professeur (regarder une pomme comme si on la voyait pour la première fois, etc.), elle cherche la beauté dans son environnement habituel et prend des notes dans un petit carnet pour s’aider à s’exprimer.
Le film déroule parallèlement deux thèmes, celui de cette recherche entreprise par Mija au soir de sa vie, alors que les mots, justement, commencent à lui échapper (on lui a diagnostiqué un début d’Alzheimer…), et un fait divers tragique auquel elle est soudain exposée. La jeune fille suicidée que l’on a vue flotter sur le fleuve, à la première scène du film, était une élève du même lycée que Wook, et Mija découvre bientôt que son petit-fils a participé avec cinq autres garçons au viol collectif dont la jeune fille a été victime. Pour des raisons qui ne sont pas développées, Mija ne met pas sa fille au courant des événements.
La recherche de la beauté du monde entre en collision frontale avec le plus sordide du réel. Le petit-fils est un ado apathique consternant, que la grand-mère, quand elle tente de le confronter à son acte, ne parviendra pas à faire parler. Le sordide, c’est aussi les rencontres avec les parents (les pères plutôt) des cinq autres garçons, qui ont pour unique souci de trouver un arrangement pécuniaire avec la mère de la jeune fille, une agricultrice pauvre, pour qu’elle ne porte pas plainte. Leur motif avoué, « protéger l’avenir de leurs enfants ». Marchandage infâme. Avec un cynisme tranquille, les cinq pères envoient Mija comme émissaire : une vieille dame éplorée pourra mieux convaincre la mère de céder… La rencontre ne se passe pas comme prévu : Mija n’arrive pas à aborder le sujet de la transaction avec la mère, et elles ne parlent que du temps qui passe, des récoltes et de la maturation des abricots. A la fin du film, Mija se rend sur le pont d’où s’est jetée la jeune fille. Leurs voix se mêlent.
« La poésie est bien plus qu’un genre littéraire. De l’ordre de l’invisible, elle reflète la vie et recèle une beauté insaisissable. Le film est le résultat de ma réflexion sur ce genre littéraire », dit le réalisateur Lee Chang-Dong. Il y a d’ailleurs une séquence dans le film où le professeur de poésie proclame et déplore la mort prochaine de ce genre particulier – il n’a plus sa place, visiblement, dans le monde d’aujourd’hui. Je ne sais pas si on peut qualifier ce film de poétique, mais il est assurément et profondément humain.
(images et citation provenant d’Allociné)
une histoire qui ressemble à celles qu’écrit Yoko Ogawa