Suite de “Trois personnages
en quête d’identité” (2)
« Je suis ravie d’être ici, disait la médiane. Vous ne voyez pas avec quelle joie insolente je m’étale ? Ici tout m’appartient, sachez-le bien. Des collections fabuleuses, que tous les pays du monde nous envient… patiemment amassées par des rois et des présidents, des révolutionnaires et des conservateurs – au double sens du terme, ha ha ha – sans parler de l’innombrable armée des simples employés et bibliothécaires. Si toutefois un bibliothécaire peut être simple : j’en connais qui vont tiquer. Mais en fait tout cela est à moi ! Je pourrais partir avec ! Faire atterrir mon hélicoptère privé dans le jardin intérieur (toujours inaccessible mais peu importe) et embarquer, comme ça me chante, une bible de Gutenberg, des bois gravés par Toulouse-Lautrec, que sais-je encore ? pour les stocker dans mon île, c’est une possibilité. Je vois bien qu’à cette seule perspective les lecteurs tremblent, les bibliothécaires encore plus, et je me délecte de leur terreur anticipée. Mais non, bande de pleutres, je ne vais rien détourner ! Juste me livrer à quelques galopades effrénées, quoique silencieuses, sur cette moquette diaprée dont la teinte rouille se prête à mes ébats. Puis je reviendrai guetter votre arrivée et vous accueillir comme il se doit. »
(Photo de l’auteur)
Quelle exubérance! Mais je lui donne raison de s’étaler: il faut profiter de ce qu’on a, et après tout, même quand on n’a que deux dimensions, ça fait déjà deux possibilités de s’étendre sans fin. Il y a de petites qualités et de petites quantités, il n’y a pas de petits infinis.