Le Russe Evgueni Evtouchenko (en russe : Евгéний Алексáндрович Евтушéнко) est surtout connu comme poète, mais il est aussi romancier, essayiste, dramaturge, scénariste, acteur et réalisateur de films.
On ne parle plus guère d’Evtouchenko aujourd’hui, mais il fut un temps où sa notoriété, dans les pays occidentaux, était aussi grande que le fut, un peu plus tard, celle de Soltjenitsyne. Représentant emblématique de la génération du « dégel » intellectuel après la mort de Staline, il fut l’une des premières voix humanistes à s’élever en Union soviétique pour défendre la liberté individuelle. Né en 1933 à Zima, en Sibérie, il fut un poète précoce, publiant son premier recueil, Perspectives d’avenir, à 19 ans. Il rejoint le Gorky Institute of Literature de Moscou, mais il en est rapidement expulsé pour « individualisme ». En 1961, il écrit un de ses poèmes les plus célèbres, Babi Yar, dans lequel il dénonce la désinformation du régime soviétique au sujet du massacre de la population juive de Kiev en 1941 (officiellement attribué aux nazis) et de l’antisémitisme du pays.
Evtouchenko devient un des poètes soviétiques les plus connus des années 60, aux côtés d’Axionov, Voznessenski, Bella Akhmadoulina… Jusqu’à 1965, il lui est interdit de voyager à l’étranger. Il est le signataire (avec Anna Akhmatova et Sartre) de la protestation contre le procès de Joseph Brodsky, des actions de soutien à Siniavski et Daniel, puis en 1968 contre l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie. (Toutefois, Brodsky et d’autres ont par la suite critiqué la position d’Evtouchenko, jugée trop tiède et conformiste – sur ce point, si vous lisez l’anglais, voir la fiche Wikipedia anglaise, beaucoup plus détaillée que la française.)
Dans les années 70 et 80, apparemment, il se consacre surtout au cinéma, comme acteur et comme réalisateur. En 1989, il est élu membre du Parlement, soutenant Gorbatchev puis Eltsine. Depuis 2000, il partage son temps entre la Russie et les USA où il enseigne dans plusieurs universités.
Il avait écrit dès le début des années 60 son autobiographie, publiée en français en 1963 sous le titre Autobiographie précoce. C’est ainsi que j’ai pu le voir en 1965 à la Mutualité présenter son livre. J’étais jeune et naïve, je ne comprenais pas grand-chose à la politique et j’avais surtout été impressionnée par le personnage, sa stature, son charisme, une sorte de Le Clézio slave… Il semble que par la suite, il n’ait guère changé :« Si Evgueni Evtouchenko n’existait pas, un autre écrivain aurait pu l’inventer comme personnage principal d’une de ces épopées que les auteurs russes adorent, écrit Anthony Wilson-Smith. Le problème serait que, en tant que fiction, la vie d’Evtouchenko défie la crédibilité. Superstar littéraire en Russie dès l’adolescence, il attire à ses lectures poétiques des foules de 30 000 personnes. (…) De manière appropriée pour quelqu’un dont l’œuvre semble plus grande que nature, il est, à six pieds trois pouces, plus grand que la plupart de ceux qu’il entoure, s’habille d’une manière éclectique qui ferait honneur au chanteur d’un groupe de rock et, avec ses yeux bleus toujours aussi perçants, malgré ses 61 ans (NDLR : ce qui situe cet article en 1994), il a tout autant de présence sur la scène. » Evtouchenko, peu doué de modestie, se considère, ajoute-t-il, comme « le petit-fils spirituel de Pouchkine ».
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J’ai eu beaucoup de mal à trouver une photo d’Evtouchenko. Celle-ci provient du blog de Jean-Marc Onkelinx dans une note consacrée à la symphonie écrite par Chostakovitch pour Babi Yar.
J’adore l’idée d’un « Le Clezio slave ». Je ne sais pas bien pourquoi mais ça me fait marrer (et je visualise très bien 🙂 ).
Effectivement je ne le connaissais pas. Pas même de nom. Étonnant. Et merci une fois de plus de faire mon (notre, j’imagine que je ne suis pas la seule) instruction.
Revu le poète lors d’un concert russe à l’Unesco mardi dernier… après sa spectaculaire apparition à la Mutualité en 1965… bizarre ce monsieur blanchi et dégarni qui déclame comme le jeune homme d’autrefois ses poèmes, très beaux d’ailleurs…
Merci de cette information, Marie !
Faisant du russe au lycée, j’étais moi aussi à la Mutualité en 1965. J’ai repensé à lui car on me demande de faire une expo pour le Printemps des poètes, le thème cette année étant l’insurrection. A l’époque, Evtouchenko représentait bien le pouvoir dynamique de la poésie.
Autre sujet, née, moi aussi en 1948, j’ai beaucoup aimé les œuvres de Roger Vailland.
On a décidément beaucoup en commun ! Si vous aimez Vailland, vous pouvez visiter le site http://www.roger-vailland.com dont je suis l’administrateur…
Bonjour
Certes, les campagnes antisémites de l’après-guerre inciteront les autorités soviétiques à dissimuler les traces du charnier de Babi Yar. Mais, lorsque vous évoquz le « massacre de la population juive de Kiev en 1941 (officiellement attribué aux nazis) », on a l’impression que ce sont les Soviétiques qui perpétuent le massacre et non les nazis! C’est très gênant.
J.