La ballade des impossibles amours


Voici, sauf erreur, la première adaptation au cinéma d’un livre de Haruki Murakami, et on la doit à Tran Anh Hung, auteur de L’odeur de la papaye verte, mais aussi de l’excellent A la verticale de l’été. Le titre original du film, Norwegian Wood, est tiré d’une chanson des Beatles ; je croyais l’ignorer jusqu’à ce que je l’entende (« I once had a girl, or should I say, she once had me… ») – j’ignorais seulement qu’elle s’appelait ainsi.

Watanabe et Naoko dans le parc

La Ballade de l’Impossible est un film lent et mélancolique sur des amours non seulement perdues, mais inachevées, marquées par le décalage, l’incompréhension mutuelle, les obstacles invisibles : normales, en somme.

Le synopsis (Allociné revisité par votre servante) : Japon, fin des années 60. Trois adolescents sont amis : Watanabe, Kizuki qui est son meilleur ami et Naoko, la petite amie de Kizuki. Mais un jour, sans crier gare, Kizuki se suicide. Watanabe quitte alors Kobe et s’installe à Tokyo pour commencer ses études universitaires. Alors qu’un peu partout, les étudiants se révoltent, la vie de Watanabe (qui semble indifférent à cette effervescence) est bouleversée quand il retrouve Naoko. Fragile et repliée sur elle-même, la jeune fille n’a pas encore surmonté la mort de Kizuki. Les deux jeunes gens passent les dimanches ensemble, ils se promènent et parlent interminablement. Le soir de l’anniversaire des vingt ans de Naoko, ils font l’amour. Le lendemain, elle disparaît sans laisser de traces. Watanabe semble alors mettre sa vie en suspension. Il passe le temps avec son ami Nagasawa, un garçon séducteur et cynique (très beau l’acteur Tetsuji Tamayama, NDLR) avec qui il chasse les aventures d’un soir. Lorsqu’enfin il reçoit une lettre de Naoko, qui s’est réfugiée dans une mystérieuse institution en pleine forêt, il vient à peine de rencontrer Midori, jolie, drôle et vive, qui ne demande qu’à lui offrir son amour. Tout cela finira mal…

Midori et Watanabe

On peut être agacé par la lenteur, les répétitions, les méandres du film (ce n’est pas mon cas). A partir des retrouvailles de Watanabe et Naoko dans son refuge, la nature joue un grand rôle et elle est superbement filmée, d’une manière à la fois puissante et subtile. La sexualité est très présente, et les personnages exposent leurs problèmes – car l’activité sexuelle est beaucoup plus pour eux un problème qu’une satisfaction – sans détours. La mort aussi est un élément dominant. Comme le dit Jean-Baptiste Morain dans Les Inrocks : après un début de film un peu trop clean, « certes, la mort rôde déjà, mais elle semble abstraite. Et puis, surprise, dès que Watanabe retrouve Naoko dans son séjour pastoral, le film de Tran Anh Hung, peut-être grâce à Murakami et à son érotisme franc, entre dans une autre dimension : sexuelle, maladive, névrotique. Les deux heures qui suivent, épuisantes, éprouvantes pour les personnages, ne montreront plus que des êtres en souffrance se heurtant sans fin contre des murs invisibles qui les empêchent de vivre, d’aimer et de s’aimer physiquement. »

Watanabe et Naoko

« J’ai voulu parler de ce qu’on éprouve quand une personne aimée se perd et disparaît. Une personne qui avait de l’espoir, de la volonté, une personne avide d’aimer, mais qui s’est égarée. J’ai connu beaucoup de gens précieux qui se sont perdus au détour d’un chemin ; ils me manquent toujours. J’avais envie d’écrire pour eux. C’était la seule chose que je puisse faire : écrire sur eux. Pour eux. Sur l’espoir qui s’en va, l’absence de but, la perte de tout repère. » (Haruki Murakami)

On peut lire aussi un très bon article sur le livre de Murakami sur le site Buzz Littéraire.

Au bord de la mer

Photos Allociné

Frontières incertaines

La compréhension n’est jamais que
la somme des malentendus.

Haruki Murakami

Je m’aperçois que je n’ai jamais parlé ici d’un livre que j’ai beaucoup aimé, Kafka sur le rivage de Haruki Murakami. Aujourd’hui c’est d’un autre roman du même auteur qu’il s’agit, Le passage de la nuit (chez 10/18, traduit du japonais par Hélène Morita). Beaucoup plus court, plus ramassé, il prend place, littéralement, durant le passage d’une nuit, de minuit à sept heures moins dix.

Le temps d’une nuit, Haruki Murakami nous entraîne dans un Tokyo sombre, onirique, hypnotique.
Dans un bar, une étudiante, Mari est plongée dans un livre. Elle boit du thé, fume cigarette sur cigarette. Un jeune musicien surgit, qui la reconnaît ; c’est Takahashi, un ami de sa sœur Eri. Pendant ce temps, dans une chambre, Eri dort à poings fermés. Elle ne sait pas que quelqu’un l’observe.
Autour des deux sœurs vont défiler des personnages insolites : une prostituée agressée par un client, une gérante de « love hotel » vengeresse, un informaticien désabusé.
Des événements bizarres vont survenir : une télévision débranchée qui se met brusquement en marche, un miroir qui garde les reflets… À mesure que l’intrigue progresse, le mystère se fait plus dense, suggérant l’existence d’un ordre des choses puissant et caché. (D’après la présentation de l’éditeur, triturée par mes soins).

Le roman fait alterner les séquences où interviennent Mari, dans son errance déterminée à passer la nuit dehors, Takahashi qui se rend à une répétition puis va retrouver Mari, Kaoru la gérante et ses employées, et celles où l’on retourne dans la chambre où dort Eri. Elle dormira pendant tout le récit ; d’ailleurs elle dort en permanence, sans pour autant être dans le coma : c’est un de ces mystères que Murakami affectionne et arrive par son habileté narrative à nous faire gober sans réticence. (Enfin quand je dis nous… moi, du moins).

Tokyo by night

Murakami arrive à entrelacer, à sa manière tout à fait particulière, les éléments les plus réalistes (l’agression dont est victime la jeune prostituée chinoise) et ceux qui semblent appartenir à un monde onirique dont les frontières, au fur et à mesure du passage de la nuit, se font de plus en plus incertaines. Il y mêle également des réflexions sur le point de vue (ici démultiplié) du narrateur éclairé par des images urbaines comme sorties d’une video qui tournerait en boucle. On est accroché par cette histoire décalée qui parle, en fait, de la difficulté à être soi, avec soi et avec les autres – comme toujours.

→ Une critique intéressante de ce livre sur le blog Racines

images : portrait Murakami de la Wikipedia, Tokyo de Chubby Beavers