La veille, bizarrement, il avait été question de chaos dans un séminaire de géographie littéraire auquel j’assistais. On nous avait dit (je n’ai pas pu trouver de référence vraiment probante, avis aux amateurs…) que l’étymologie du mot chaos, du grec χάος, était l’ouverture d’un abîme, voire la terre qui se fend pour vous engloutir…
C’est bien ce qui est arrivé aux Grecs ; nous les Gaulois avons peur que le ciel nous tombe sur la tête, eux c’est la terre qui se dérobe sous leurs pieds. Le film documentaire d’Ana Dumitrescu Khaos, les visages humains de la crise grecque donne à voir concrètement l’état des choses. Il se compose essentiellement de brefs entretiens avec des « vrais gens », rencontrés dans la rue, au café ou sur leur lieu de travail. Notre guide et mentor est Panagiotis Grigoriou, historien, anthropologue et auteur du blog (en français) Greek Crisis qui parle avec tous et, de temps en temps, ponctue de quelques commentaires.
Il y a celui qui pense à partir à l’étranger mais en tout dernier recours, parce que cela lui brise le cœur. Il y a celui qui lutte pour faire réintégrer les licenciés et respecter les conventions collectives (l’ouvrier du Pirée), estimant que ce combat doit faire exemple. Il y a une femme professeur d’arts plastiques qui voit arriver des élèves dont les parents n’ont plus les moyens de les nourrir : comment leur demander d’acheter du matériel de dessin ? Il y a cet agriculteur qui ironise « on continue à travailler par habitude ; sinon on est mort… » Il y a celle qui essaie de croire que la crise peut avoir des résultats positifs, en incitant les gens à penser et à vivre autrement ; mais c’est un propos bien isolé. Il y a Manolis Glézos, héros national de la Résistance, aujourd’hui député du parti Syriza, qui craint que la situation ne dégénère pour aboutir à un bain de sang ; mais les solutions qu’il propose sont bien utopiques…
Toutefois, le film n’est pas une analyse politique ou économique des causes de la crise et des moyens d’y remédier : c’est comme son nom l’indique un ensemble de témoignages sur la manière dont elle est vécue par les Grecs. C’est une Grèce que les touristes ne connaissent guère, celle des banlieues informes ou des modestes villages par où les voyageurs n’ont aucune raison de passer.
« Du marin pêcheur au tagueur politique, au rythme du jazz et du rap, sur les routes de Trikala en passant par Athènes et l’île de Kea, c’est un voyage à travers l’âme d’un pays qui vous emmène dans une réflexion sur la situation critique de la crise actuelle ». (dossier du film)