« L’atelier de Don Manuel [à Coyoacán] était une maison de village
qu’il avait aménagée et peinte en bleu. Autour de la cour, il y avait
un atelier haut de plafond pour la photo et pour écouter de la musique,
une chambre noire d’où sont sortis des joyaux qu’il tirait
avec la plus grande dévotion, et plusieurs autres pièces. »
Pablo Ortiz Monasterio, Un après-midi avec Don Manuel
Manuel Álvarez Bravo a vécu pendant un siècle tout juste (1902-2002) et son œuvre photographique « constitue un jalon essentiel de la culture mexicaine du XXe siècle. À la fois étrange et fascinante, sa photographie a souvent été perçue comme le produit imaginaire d’un pays exotique, ou comme une dérive excentrique de l’avant-garde surréaliste. »
L’exposition du musée du Jeu de Paume, sous-titrée Un photographe aux aguets (jusqu’au 20 janvier 2013), veut dépasser ces lectures pour montrer de manière thématique les orientations de sa recherche. « S’il est vrai que l’histoire de la photographie reconnaît en Don Manuel – comme on l’appelle respectueusement au Mexique – la grande figure de la photographie mexicaine, il n’en est pas moins vrai que l’analyse critique de son œuvre est toujours passée par le tamis du regard occidental européen et américain, prompt à coller des étiquettes de folklorisme, de mexicanité et de surréalisme », écrit Marta Gili (sur le site du musée). « L’exposition du Jeu de Paume veut sortir de ce chemin tout tracé pour proposer une analyse de l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo qui la libère de cette vision hégémonique et lui donne sa juste place au croisement entre la photographie moderne au Mexique et son propre regard personnel d’auteur. »
« Sans nier le lien avec le surréalisme ou les clichés liés à la culture mexicaine, cette sélection de 150 images vise à mettre en lumière un ensemble spécifique de motifs iconographiques dans le travail de Manuel Álvarez Bravo : les reflets et trompe-l’œil de la grande métropole ; les corps gisants, réduits à de simples masses ; les volumes de tissus laissant entrevoir des fragments de corps ; les décors minimalistes à l’harmonie géométrique ; les objets à signification ambiguë… » Elle confronte ses images les plus célèbres (comme La Bonne Renommée endormie ou l’Ouvrier en grève assassiné) à de courts films expérimentaux des années 1960, provenant de ses archives familiales.
Álvarez Bravo a connu tout au long de ce XXe siècle les profondes transformations qui ont affecté son pays à partir de la Révolution de 1910 : éloignement progressif de la vie rurale et des coutumes traditionnelles, émergence d’une culture cosmopolite, modernité et effervescence de la grande ville. Il a cultivé des liens forts avec le monde de l’art, avec d’autres photographes (Edward Weston, Tina Modotti, Cartier-Bresson…) des peintres (Diego Rivera, Pablo O’Higgins), des poètes (Xavier Villaurrutia, l’auteur du très beau livre Nostalgie de la mort).Il conquit l’admiration d’André Breton, lors de son voyage de 1938 au Mexique. Dès avant la 2e guerre mondiale, ses images étaient largement diffusées aux États-Unis et en Europe.
« C’est un photographe de paysages tranquilles et d’individus solitaires, silencieux, presque toujours de dos, parfois endormis. C’est un photographe froid, lent, de solitudes et de quiétudes : un chasseur d’images, un artiste aux aguets. » (Laura González Flores et Gerardo Mosquera, commissaires de l’exposition).
Pour ma part, j’aime particulièrement celles de ses photos qui exploitent une vision quasi abstraite des formes (comme les feuilles de papier), ainsi que celles qui appartiennent au regard surréaliste. Leurs titres souvent décalés dialoguent avec les images et nous orientent vers d’autres lectures. Et vers de longues patiences.
Site officiel de la fondation Manuel Álvarez Bravo
Bel article de Laurent Aubague dans la revue Amerika : Manuel Álvarez Bravo, photographe mexicain de l’abstraction figurative http://amerika.revues.org/1980
Toutes images : © Colette Urbajtel/Archivo Manuel Álvarez Bravo, SC
Citations provenant du site du musée