Brouillons d’un soir

 

 

Ce soir-là, contrairement à mes sages habitudes, je n’ai pas pris de notes. Alors ce que je vais dire, c’est ce qui m’est resté dans la tête, et qui s’y promène encore par moments.

C’était une soirée consacrée aux brouillons. Sous le titre « Les écrivains sont-ils des gens brouillons ? » organisée dans le cadre du cycle Saison de lecture du 2e arrondissement, avec Sereine Berlottier, Laurent Grisel et Dominique Dussidour, accueillis par Sébastien Rongier (Philippe Rahmy, également prévu, était souffrant ; un texte de lui fut lu).

L’intérêt pour les manuscrits d’écrivains, et a fortiori leurs brouillons, est relativement récent. Le mot apparaît au 16e siècle mais on n’en possède aucun, par exemple, de Molière ou de Corneille. L’âge d’or du brouillon commence au 19e siècle avec Flaubert et s’étend sur tout le 20e siècle où la génétique du texte en fait ses choux gras. La moindre paperolle, proustienne ou pas, devient alors quasi objet de culte…

Manuscrit de Victor Hugo (image BNF)

Manuscrit de Victor Hugo (image BNF)

Aujourd’hui, évidemment, tout cela est remis en question par les progrès de la technologie, qui nous proposent des objets éternellement parfaits, sans la moindre rature ou repentir, au point qu’on serait tenté d’en introduire artificiellement pour les humaniser.

Ce soir-là donc, il s’agissait de demander aux trois écrivains présents quel est leur rapport au brouillon, de quelle manière ils le pratiquent, et ce que l’ère numérique y a changé. Dominique Dussidour nous a montré comment elle travaille, actuellement, sur une série de textes relatifs à son projet « Sade écrivain », chantier en cours que l’on peut retrouver sur remue.net.  Avant d’arriver sur le site, toutefois, l’élaboration de ces textes passe par plusieurs niveaux de cahiers, qu’elle nous présente (c’est la formule ancienne des actes de naissance : « …un enfant de sexe masculin, qu’il nous présente et auquel il a déclaré donner le prénom de… » – je ne sais pas si on amenait vraiment le nouveau-né au bureau de l’état-civil) et qui constituent des strates successives.

Sereine Berlottier a construit une série de « propositions » représentant autant de manières de considérer le texte en train de s’écrire, les traces de rencontres avec d’autres mots, d’autres images, sur lesquels il s’édifie, comme des réponses qui s’entrecroisent. Enfin le poète Laurent Grisel a expliqué comment, à partir d’un poème-source, Musiques, il transite par des variations associées selon diverses combinaisons possibles pour arriver à un nouveau poème-cible (j’emprunte les termes de source et de cible au vocabulaire de la traduction).

Albrecht Dürer : Le Combat de saint Michel contre le Dragon, point d’appui du poème de Laurent Grisel En s’éloignant de l’apocalypse, A. D., 1497

Albrecht Dürer : Le Combat de saint Michel contre le Dragon, point d’appui du poème de Laurent Grisel En s’éloignant de l’apocalypse, A. D., 1497

Tout cela absolument passionnant ; tout cela n’épuisant nullement le mystère du langage ni celui de la chose écrite.

 

On peut aussi aller voir, sur le site de la BNF, l’exposition virtuelle Brouillons d’écrivains.

 

 

 

 

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