J’ai été assez captivée par le film de Tom Tykwer, Drei (Trois), passé vendredi soir sur Arte. Au moment où des groupuscules réactionnaires s’apprêtent à manifester contre le « mariage pour tous », ce film pose de bonnes questions, de manière certes provocatrice mais pourtant nuancée.
Synopsis
Deux quadragénaires berlinois, Hanna et Simon, sont en couple depuis d’une vingtaine d’années, sans enfant. Elle anime une émission à la télévision, il est ingénieur culturel, tous deux travaillent énormément. Ils tiennent l’un à l’autre, mais l’usure du temps a fait son travail et leur sexualité est devenue somnolente. Presque simultanément, la mère de Simon meurt et lui-même se découvre un cancer du testicule. Rétabli, il fréquente la piscine où il rencontre un homme un peu plus jeune, Adam, et entame avec lui une liaison homosexuelle… sans savoir qu’entre temps, Adam est devenu l’amant d’Anna.
« Après plusieurs projets internationaux (Le parfum, histoire d’un meurtrier et L’Enquête, avec Naomi Watts), Tom Tykwer a tourné Drei en Allemagne, le signe d’un vrai retour au pays. Ce n’est donc pas un hasard s’il en a non seulement écrit lui-même le scénario, mais aussi imaginé les personnages comme des représentants de sa propre génération : des Berlinois cultivés, aisés et frappés par la crise de la quarantaine.
Par conséquent, on attendait de lui une vision vraiment personnelle du triangle amoureux, ce thème ultra familier au cinéma, et c’est le cas. Loin de virer à un règlement de compte moralisateur, puritain ou destructeur, Drei conçoit l’adultère comme un événement régénérateur et un idéal romantique, qui libère Hanna et Simon chacun de leur côté, mais renforce également leur couple moribond. L’amant, Adam, apparaît lui-même comme une personne rassurante, calme et magnétique, sans désir de heurter autrui ou d’exercer sur lui une attitude prédatrice. Il est porté davantage sur l’affection que sur la luxure et pour lui, il n’est jamais question d’homosexualité ou d’hétérosexualité, mais plutôt d’optimisme, de plaisir et de distraction salutaires. » (extrait du dossier d’Arte)
Alors que le sujet aborde des questions plutôt fortes (le rapport à la mort, l’identité sexuelle…), le réalisateur le traite avec une légèreté (au bon sens du terme) qui ne l’empêche pas de prendre les choses au sérieux. Tykwer parsème son récit d’interrogations sur le sexe et l’amour, la vie et la mort, la culture et la science (Adam est biologiste), la liberté et la répression. Il a aussi le bon goût de ne pas porter de jugement sur ses personnages, et l’habileté de montrer cette histoire – qui pourrait être la trame d’une pièce de boulevard – de manière crédible. À part quelques afféteries (l’apparition à Simon de sa mère morte sous la forme d’un ange !), la narration est plutôt bien menée et le film atteint son but. J’ai toutefois quelques réserves quant à la fin, où les trois personnages se rejoignent dans une séquence visuellement belle, mais qui peut laisser sceptique : concrètement, que pourra-t-il advenir de ce ménage à trois, ou plutôt de cette famille recomposée puisque Hanna est enceinte de jumeaux (dont on ne sait pas qui est le père) ?
Ci-dessous : un extrait de l’interview du réalisateur figurant (en anglais) sur le site du film
Q. Pensez-vous que ce film, avec sa posture libérale envers l’homosexualité et le ménage à trois (en français dans le texte), décrit l’état actuel des choses en ce qui concerne les possibilités de relations ?
R. Il montre du moins que notre vision de ce qui est normal est devenue, dieu merci, d’ampleur un peu plus large. Nous savons tous, à la base, que les catégories sexuelles et la manière dont les personnes de l’un ou l’autre sexe sont censées se comporter – et toutes les autres obligations que nous laissons l’éducation nous imposer – appartiennent à un système qui est en quelque sorte dépassé. En même temps, nous n’avons pas vraiment une grande alternative nouvelle à proposer. Alors nous opérons cet étrange équilibrage. D’un côté, nous avons fait beaucoup de progrès dans nos manières de penser. Nous sommes beaucoup plus ouverts et détendus à propos de ces classifications en catégories. Ce qu’il nous est permis de faire ou pas. Le film cherche à décrire précisément cet espace intermédiaire, sans faire de suggestion trop forte. Il s’agit de regarder ces personnages trébucher, désorientés, dans une histoire très ouverte qui n’a pas vraiment de fin. Le film va quelque part, mais la fin est plutôt un commencement.
Q. Croyez-vous que le trio ait sa chance ?
R. À la fin, oui, la conclusion du film est très claire. Cela ne signifie pas pour autant que nous allons tous nous mettre à avoir des relations à trois. C’est simplement qu’il se positionne contre la croyance courante et ancrée de manière quasi religieuse qu’il existe une forme obligatoire de normes en matière de relations. Mais la date d’expiration de ce système est tout simplement dépassée. Malgré le manque d’alternatives, nous continuons, mais ce n’est vraiment pas assez. »
Je pense que les jumeaux ont un père différent chacun. Biologiquement c’est possible.
Oui, bien sûr, si ce sont des « faux jumeaux »… Comme ça chaque père aura le sien !