Ouverture de l’exposition que la Cinémathèque consacre au « film culte » Les enfants du paradis. M’y suis rendue à l’invitation de ladite Cinémathèque. Bon plan d’un côté, pas si bon que ça de l’autre, car un million d’autres abonnés/invités avaient fait de même… résultat de cette affluence, dans un espace relativement exigu : difficulté à voir les choses et à entendre les explications données par les spécialistes. En fait, en ai vu juste assez pour avoir envie d’y retourner (trouver le bon créneau horaire…) et aussi de revoir le film (j’ai dû le voir au début des années 80…)
« Tout a déjà écrit sur ce film classé comme « le meilleur film français de tous les temps » par plus de six cents professionnels du cinéma en 1993 et que beaucoup, de par le monde, considèrent comme le plus grand film de tous les temps. Si je n’irais pas jusqu’à un tel extrême, il faut bien reconnaître que ce film continue de nous captiver plus de soixante ans après sa sortie. » (Philippe Morisson)
Produit sous l’Occupation par Pathé et sorti sur les écrans en 1945, Les Enfants du Paradis de Marcel Carné, réalisé d’après un scénario original et des dialogues de Jacques Prévert, est un spectacle total (comédiens, photographie, lumière, découpage, musique, décors, costumes) d’une éclatante réussite esthétique. Ce triomphe de la grande « qualité française » – avant que celle-ci ne s’étiole et ne soit remplacée par la Nouvelle Vague – est un film sur l’amour fou, les rapports entre le théâtre et le cinéma, la scène et la rue. Bon nombre de séquences mythiques sont gravées dans la mémoire collective. « Je donnerais tous mes films pour avoir réalisé Les Enfants du Paradis», aurait dit François Truffaut. (Dossier de la Cinémathèque)
Ce qu’on sait déjà
Ce chef-d’œuvre romantique est d’abord une création personnelle – celle d’un poète, Jacques Prévert – puis une œuvre collective, réalisée par une équipe technique et artistique hors pair : Marcel Carné aux commandes, Roger Hubert à la caméra, Alexandre Trauner et Léon Barsacq aux décors, Joseph Kosma et Maurice Thiriet à la musique (orchestrée par Charles Munch), le peintre Mayo aux costumes… avec d’inoubliables interprètes Arletty (« On m’appelle Garance… »), Jean-Louis Barrault, Pierre Brasseur, Maria Casarès, Marcel Herrand et bien d’autres.
La réalisation de cette œuvre majeure s’est faite en pleine Occupation et dans les plus grandes difficultés. Le tournage, long, coûteux et complexe, mené en plusieurs endroits différents (aux studios de la Victorine à Nice, aux studios Pathé de Paris et de Joinville), s’interrompt brutalement en septembre 1943, puis est repris par Pathé. Carné fait durer le tournage, espérant sortir son film à la Libération. De toute façon, le travail est ralenti par les circonstances : alertes aériennes, pénurie d’électricité et de matière première… La pellicule, denrée rare, provient parfois du marché noir. Certains intervenants juifs et anti-vichystes (Trauner, Kosma…) travaillent dans la clandestinité. L’acteur halluciné Robert Le Vigan, antisémite notoire, s’enfuit. Le tournage, qui devait durer quatre mois, prend finalement deux ans de travail et engloutit un budget colossal, cinq fois supérieur aux prévisions. Présenté en deux époques le 9 mars 1945 dans la France libérée, le film est un triomphe et son succès ne s’est jamais démenti depuis.
Ce qu’on sait moins
La Cinémathèque française a la chance de posséder dans ses collections un ensemble remarquable de documents, avec un fonds constitué dès les années 1940 grâce à l’amitié qui liait les frères Jacques et Pierre Prévert à Henri Langlois. Il a été enrichi en 2009 par l’acquisition de la collection personnelle de Marcel Carné et le don en 2010, par Eugénie Bachelot-Prévert, du scénario original manuscrit de Jacques Prévert – dont on voit dans l’expo un panneau orné de dessins du poète.
La Fondation Jérôme Seydoux-Pathé conserve de son côté un vaste fonds d’archives et de documents : affiches, dessins, photographies, matériels publicitaires, costumes, appareils, scénarios, correspondances, maquettes, rushes, ainsi que des archives de production.

Le Boulevard du Crime en 1862, tableau d’Adolphe Martial Potémont (musée Carnavalet). Cette partie du Boulevard du Temple a été démolie lors des grands travaux réalisés par Haussmann.
Le rideau s’ouvre donc sur le boulevard du Crime à Paris, vers les années 1830… La façade du théâtre des Funambules, où trône la silhouette du mime Deburau, est reconstruite. De la caméra de Marcel Carné aux dessins de Trauner, en passant par les costumes du film, les tableaux de Kisling et Van Dongen, les gouaches de Mayo, les affiches et les photographies de tournage, on est bien dans le Paris Romantique de Prévert et Carné…
Et il y avait aussi un Grec dans l’histoire : le peintre Mayo, auteur des costumes. De son vrai nom Antoine Malliarakis, né en 1905 à Port-Saïd (fils d’un ingénieur grec du Canal de Suez et d’une mère française). Ami de Prévert et de Desnos, il est généralement classé comme surréaliste, mouvement auquel il participa activement sans jamais le rejoindre officiellement, et également connu pour son travail de décorateur et de costumier sur des films tels que (excusez du peu) Les Enfants du Paradis, Casque d’or ou Hiroshima mon amour.