Le comment et le pourquoi

 Lire ne sert à rien.
C’est pour cela
que c’est une grande chose.
Charles Dantzig

Quand on fait partie comme moi des « fous de lecture » (ce fut autrefois le nom d’une émission sur Radio Aligre), on aime lire même des livres qui ne parlent pas d’autre chose que de cette addiction même. Il y a eu en 2000 le délicieux Bouquiner d’Annie François, alliant finesse et humour à la manière d’un mille-feuilles. Aujourd’hui (deux ans après sa parution, tout de même – je n’ai jamais été rapide), je viens de terminer Pourquoi lire ? de Charles Dantzig.

Je connaissais le nom de Charles Dantzig pour l’avoir lu dans le Magazine Littéraire, pour avoir lu de ses articles, plutôt. Soit dit en passant, ce nom est un pseudo ; c’est Charles Dantzig qui l’a dit dans un tout petit bout d’interview entendu sur France Inter. Belle allure ce pseudo, d’ailleurs, avec un prénom rétro – mais il est vrai que les petits garçons, aujourd’hui, s’appellent Émile ou Jules comme nos arrière-grands-pères – et un nom qui ne l’est pas moins, aujourd’hui que la ville de Dantzig s’appelle Gdansk. Mais revenons à nos moutons, ceux qui s’accumulent sous le canapé pendant que la ménagère (qu’elle ait ou non moins de 50 ans) est occupée à lire.

Gyula Benczúr : Femme lisant, 1875 (DR)

Là où Annie François détaillait avec gourmandise les pratiques de la lectrice invétérée qu’elle était, Dantzig analyse en une cinquantaine de chapitres percutants les motivations qui vont pousser chaque lecteur à ouvrir un livre. Lire pour se trouver, lire pour la haine, lire pour l’obscurité… on ne manque pas d’alibis. « On lit pour comprendre le monde, on lit pour se comprendre soi-même. Si on est un peu généreux, il arrive qu’on lise aussi pour comprendre l’auteur. » Charles Dantzig a le sens de la formule, il a aussi beaucoup d’esprit, et son livre se dévore, c’est même un régal, pour peu qu’on ait le goût de ce genre de chose. J’y ai trouvé aussi une définition de la littérature que je cherchais confusément depuis longtemps : « La littérature, et en particulier la fiction, est une forme d’analogie. Ou plus précisément, une des formes de compréhension par l’analogie. Ou plus précisément, une des formes de compréhension par l’analogie qui agit sur les sentiments en plus de l’intelligence. »

En voici une autre : Lire pour la forme (chapitre entier, mais celui-ci est bref) :

« Quelle expression mal fait est, en français, ‘pour la forme’. Je me demande si les Italiens, qui ont assez le goût de l’art, ou les Japonais, de la cérémonie, en auraient inventé d’aussi désinvolte envers une chose aussi essentielle. ‘Pour la forme’ ne devrait pas vouloir dire ‘en vitesse et pour satisfaire le protocole avant de passer aux choses sérieuses’. La forme est le sérieux de l’art. Elle en est même le sujet. Les idées, vous pensez, tout le monde les a. Une définition de la littérature pourrait être : ‘Tentative de formulation de l’informe.’ Tout livre, même de fiction, est un essai, dans la mesure où il cherche à avoir une forme. Dans l’informe de la vie, il prend, rejette et classe, et c’est cette formalisation qui apporte du sens. Le lecteur, face au flasque, lit pour deviner les formes multiples du monde. »

Le lecteur Dantzig apparaît aussi inévitablement à travers ses axiomes, il adore Stendhal, déteste Céline, et il n’aime Flaubert, dirait-on, que par devoir. Mais son livre est aussi un plaidoyer, pour la culture évidemment (« Un des signes des temps barbares est que l’ignorance n’a plus honte. » Cela m’a rappelé une fâcheuse période qui s’est achevée en mai dernier), pour la liberté aussi. « Le moment où on a lu un livre qu’on n’a pas aimé n’était peut-être pas le bon. (…) On peut donc lire contre soi-même ! Quelle grande chose que la contradiction ! L’apporter, la demander. Ce sont des chocs que naissent les étincelles. Contestez-vous. Contestez ce que vous lisez en ce moment. » « Nathanaël, à présent, jette mon livre », conseillait André Gide au terme de ses Nourritures terrestres.

2 réflexions au sujet de « Le comment et le pourquoi »

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