L’étrangeté du banal (et inversement)

Encore de la photo, encore du noir et blanc, mais ce n’est pas du tout la même chose. Du Mexique des années 1930, on passe au New York des années 1960 (essentiellement) avec Diane Arbus.

Plutôt que par goût, je suis allée voir cette exposition pour essayer de mieux appréhender une œuvre que je connais peu, ou mal. J’avais en tête quelques images hyper connues, celle du travelo aux bigoudis, celle du petit garçon à la bretelle pendante, celle des petites filles jumelles en robe sombre à col blanc – qui toutes figurent dans l’expo. J’avais envie de voir un ensemble qui me permettrait de m’en faire une idée plus précise.

Ce qui est montré au Jeu de Paume répond sans doute à cette tentative, bien que la manière dont ces photos sont montrées ne nous y aide guère. « A une approche chronologique, thématique ou académique, l’exposition a préféré offrir un parcours dont les œuvres sont en elles-mêmes le fil conducteur du regard du spectateur », déclare le musée dans son feuillet d’information. Autrement dit, débrouillez-vous… Entendons-nous, je n’aime pas non plus quand on vous mâche trop le travail, ni surtout quand on vous ordonne comment on doit regarder l’œuvre de tel ou tel artiste. Il me semble qu’en cela comme en beaucoup d’autres domaines, on doit pouvoir trouver un juste milieu. (Des éléments biographiques et documentaires étaient toutefois concentrés dans une salle à la fin du parcours, où je n’ai même pas essayé d’entrer pour cause d’extrême affluence.)

« Arbus puise l’essentiel de son inspiration dans la ville de New York, qu’elle arpente à la fois comme un territoire connu et une terre étrangère, photographiant tous ces êtres qu’elle découvre dans les années 1950 et 1960. La photographie qu’elle pratique est de celle qui se confronte aux faits. Cette anthropologie contemporaine — portraits de couples, d’enfants, de forains, de nudistes, de familles des classes moyennes, de travestis, de zélateurs, d’excentriques ou de célébrités — correspond à une allégorie de l’expérience humaine, une exploration de la relation entre apparence et identité, illusion et croyance, théâtre et réalité. »

 

Femme portant un enfant, Central Park, NY, 1956 - Image Utata Tribal Photography

Dans son très bon article sur le site L’Intermède, Claire Colin montre ce « mouvement de réinsertion de l’atypique dans le banal » qui s’exerce également en sens inverse, renvoyant tout le monde dos à dos (ou plutôt face à face) dans l’exercice de l’étrangeté. « Il ne suffit pas à Diane Arbus de montrer combien l’étrange n’est pas là où l’on pouvait l’attendre : la photographe veut aussi aller jusqu’à démontrer qu’il se loge dans le plus familier ». « Les photographies de Diane Arbus laissent ainsi transparaître, un instant, la faille du quotidien derrière laquelle peut s’agiter une puissance indistincte et mystérieuse », conclut-elle.

Tout cela, incontestablement, m’intéresse, mais je n’arrive pas à y prendre plaisir (on me dira que ce n’est pas forcément le but recherché). Je fais partie des gens que l’obsession d’Arbus pour les « freaks » met mal à l’aise… Finalement, j’ai trouvé sous la plume de Greg Fallis (sur le site Utata – Tribal Photography, cité par mon collègue Lunettes Rouges) un point de vue que je rejoins. Je traduis ici un fragment de son article :

« Il y a certains photographes pour lesquels je perçois immédiatement le sens de leur travail. Il y en a certains pour lesquels je le perçois seulement après y avoir apporté une grande attention, ou après que j’ai regardé assez d’images pour que l’objectif de ce travail pénètre finalement dans ma tête. Et puis il y a certains photographes dont le travail semble toujours planer hors de ma portée. Et pour moi, cela inclut Diane Arbus.

Je trouve son travail le plus ancien accessible et émouvant, et son travail ultérieur (notamment les séries de photographies d’attardés mentaux adultes, vivant dans une institution à Vineland, New Jersey) est souvent d’une beauté qui vous hante, bien que ces images me semblent quelquefois cruelles. Mais les photographies pour lesquelles elle est le plus connue me laissent froid. Elles ont un détachement clinique que je trouve repoussant. Ce détachement lui était peut-être nécessaire pour s’approcher aussi près – au plan physique et émotionnel – des sujets, mais je ne ressens rien pour ces gens. Je suis touché seulement, et d’une manière qui n’est pas positive, par la photographie, par le fait que cette femme a choisi de prendre cette photographie.

Et pourtant 38 ans après sa mort (NDLR : Diane Arbus s’est suicidée en 1971), ces photographies conservent un pouvoir étrange pour attirer et retenir notre attention. Je ne le comprends pas. Je ne le perçois pas vraiment. Mais je reconnais son existence. »

Au musée du Jeu de Paume jusqu’au 5 février 2012

Une réflexion au sujet de « L’étrangeté du banal (et inversement) »

  1. Il m’est arrivé, avec l’aide d’un gros livre où chaque photos de Diane Arbus était longuement commentée, de jouer à ce petit jeu d’essayer de deviner (sans tricher) lesquels de ses modèles étaient ces « couples », lesquels ces « enfants », ces « forains », ces « nudistes, familles des classes moyennes, travestis, zélateurs, excentriques, célébrités », et, bien sûr, ces fameux « freaks » et « attardés mentaux » dont tout le monde parle toujours à propos d’elle. Et, chaque fois, je me suis lamentablement ramassé. Aussi, c’est dans la phrase de présentation « les photographies de Diane Arbus laissent ainsi transparaître, un instant, la faille du quotidien derrière laquelle peut s’agiter une puissance indistincte et mystérieuse » que je reconnais ma réaction… ainsi, bien sûr, 🙂 que dans le titre « l’étrangeté du banal (et inversement) ».

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