Seuls les gens qui manquent d’imagination
inventent. On reconnaît le véritable artiste à la façon
dont il utilise ce qu’il s’annexe, et il s’annexe tout.
Oscar Wilde
Pour finir l’année en beauté, ou plutôt avec la beauté, voici l’exposition du musée d’Orsay intitulée Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde, ainsi placée sous l’invocation de l’Invitation au voyage baudelairienne, à peine détournée. Soi dit en passant, la première publication des Fleurs du mal est de 1857, en effet à l’aube même de la période traitée, qui couvre les années 1860-1900.
Depuis qu’en classe de première j’ai découvert l’Ophélie de Millais dans mon Lagarde et Michard, j’ai toujours aimé les peintres pré-raphaélites, et cette expo leur fait une large part.
Elle explore, nous dit le musée, « l’aesthetic movement qui, dans l’Angleterre de la seconde moitié du XIXe siècle, se donne pour vocation d’échapper à la laideur et au matérialisme de l’époque, par une nouvelle idéalisation de l’art et de la beauté (…), un art libéré des principes d’ordre et de la moralité victorienne, et non dénué de sensualité. »
En avant donc avec les œuvres de Dante Gabriel Rossetti, Edward Burne-Jones, William Morris, James McNeill Whistler, John William Waterhouse, Frederick Leighton… les jeunes femmes langoureuses, les décors floraux, les anges musiciens et tutti quanti. On est souvent sur le fil du rasoir, et certains tableaux tombent dans l’excès de mièvrerie ou le côté « léché » que l’on retrouve de ce côté-ci de la Manche chez Bouguereau. Mais cela mis à part, cette peinture propose des objets d’une grande beauté, un usage audacieux de la couleur et de la composition, des attitudes inattendues. Et l’exposition ne se limite pas à la peinture mais donne un aperçu de l’ensemble de la création artistique de cette période sur une multiplicité de supports : mobilier, tapisserie, vitrail, reliures, vaisselle, bijoux… Le tout rythmé par des aphorismes d’Oscar Wilde qui ne sont pas que de chatoyants paradoxes, et mis en scène dans un parcours sinueux, point trop chargé, où chaque pièce est justement mise en valeur. On est accueilli par l’étirement voluptueux du Paresseux de Leighton, bronze de 1885.
L’histoire du Peacock Room (d’après le site du musée)
The Peacock Room (« La pièce des paons ») représente incarne la décoration d’intérieur la plus célèbre de l’Aesthetic Movement. La pièce commence par servir de salle à manger au 49 Princes Gate, demeure londonienne de l’armateur Frederick Leyland. Collectionneur parmi les plus avisés de l’époque, Leyland possède de nombreuses peintures remarquables des maîtres, dont The Syracusan Bride [La Mariée de Syracuse] de Leighton.
A l’origine, la pièce est tapissée de tentures en cuir ancien doré et gaufré qui servent de décor aux porcelaines blanches et bleues dont raffolent les « esthètes ». Leyland accroche au-dessus de la cheminée la peinture de Whistler récemment acquise, La Princesse du pays de la porcelaine. Son auteur demande s’il peut estomper certaines couleurs vives du cuir afin de l’harmoniser avec l’œuvre. Leyland accepte et laisse Whistler seul dans la maison.
Durant l’été 1876, celui-ci transforme complètement la pièce en y peignant des paons dorés, avant de tenir portes ouvertes et de rendre le lieu célèbre en l’absence de son mécène. En 1908, le décor est vendu à un admirateur américain de Whistler, Charles Freer. Depuis 1923, la Freer Gallery (NDLR : au Smithsonian Institute) de Washington expose ce symbole de l’Aesthetic Movement qui résume autant l’audace artistique des esthètes que leurs goûts et leurs univers.
Images Tyne & Wear Archives & Museums, Wikimedia Commons et autres
au musée d’Orsay jusqu’au 5 janvier 2012
Bonjour,
vous m’aviez donné envie d’aller voir l’expo. J’y suis allée hier soir en nocturne : beaucoup de monde mais des tableaux, tapisseries, porcelaines magnifiques… J’ai découvert Moore. Très léché, certes, mais beau.
Petite précision : l’expo se clôt dimanche 15 janvier.