Lecture qui m’a accompagnée en Grèce, le petit livre de Bertrand Redonnet (petit seulement par le format !) Le Théâtre des Choses (éditions Antidata, 2011) est composé de dix nouvelles dont les décors se partagent entre la Pologne – et plus précisément cette partie orientale de la Pologne, aux confins de la Biélorussie, où l’auteur habite depuis six ans – et la campagne poitevine dont il est originaire. Léger avantage à la Pologne, toutefois, qui l’emporte avec six textes contre quatre seulement situés en France.
Si j’insiste d’emblée sur la géographie, c’est qu’elle joue un rôle particulièrement important dans cet ensemble. Chacun des récits, au grain bien serré, s’encastre en effet très précisément dans les lieux qui l’ont suscité. (Redonnet n’est pas pour rien l’auteur d’un précédent livre intitulé Géographiques.) Et la géographie, c’est souvent de la géopolitique, donc de l’histoire et même de l’Histoire avec un grand H, dont ce coin de Pologne est comme saturé. Histoire qui ne nous est donnée à entendre que par la manière dont elle obsède le souvenir des gens du pays, comme le suggère le beau titre de l’une des nouvelles, Résurgences. Plus que de la théorie des climats, c’est de l’empreinte des événements sur les paysages qu’il s’agit, et comment cette empreinte finit par occuper l’esprit des habitants d’un lieu et même influencer leur destin.
C’est là le point commun principal des dix nouvelles, qui partagent souvent aussi une ambiance un peu fantastique, celle des récits que l’on se racontait au siècle passé (et là je parle évidemment du 19e …) à la veillée, au coin du feu, et l’on se souvient alors que Bertrand Redonnet se réclame, entre autres parrains estimables, de Maupassant. (Il cite notamment la nouvelle de Maupassant Le Loup, mai j’ai pensé aussi à celle intitulée La Peur.) Ambiance qui est celle aussi parfois des grands auteurs russes, et il m’a semblé voir l’ombre de Dostoïevski planer sur Le Moine peu orthodoxe, celle de Tourgueniev sur L’Écrivain.
Les textes sont courts, ramassés, prêts à bondir. Bertrand Redonnet maîtrise à merveille l’art de la chute, cette clef essentielle de la beauté d’une nouvelle. Je vous recommande d’être attentifs, notamment, à celle du texte intitulé Souricière : elle est brutale – comme si on avalait cul sec un verre de vodka polonaise à l’herbe de bison – puissante et, en même temps, elle laisse une porte ouverte au mystère.
Le dernier récit a pour titre La dixième nouvelle. Il a du mal à démarrer, on a l’impression de tourner autour du pot, mais quand le sujet se déploie dans sa terrible clarté, on se demande si on n’aurait pas préféré ne rien savoir. Suggérer tout cela en dix pages – l’impatience préalable, l’horreur de la découverte, puis la honte de ce qu’on a entendu – c’est vraiment très fort. Tout le livre est empreint d’un mélange de douceur, de sérénité même, celle du temps qui passe et des choses qu’on abandonne, et de violence venue du passé, mélange détonnant qui lui donne sa coloration particulière.
Enfin, un charme supplémentaire pour moi, c’est l’évocation de la forêt, très présente dans plusieurs des nouvelles, notamment la première, Le Loup, qui est une belle histoire d’obsession, mais aussi Souricière ou encore La Mort et le Bûcheron. N’oublions pas que c’est en Pologne que se trouve la forêt primaire de Białowieza, la seule qui subsiste encore en Europe. Et d’ailleurs Bertrand Redonnet en parle sur son blog, L’Exil des Mots.
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PS le 23 novembre 11. Je ne suis pas mécontente de voir que Jean-Louis Kuffer apprécie également ce livre (avec le lien, voir la section « Notes en chemin – 27 »).
Ca donne envie (d’aller en Pologne aussi).
Très tentant ! Merci de ce rendu détaillé alléchant :
« Les textes sont courts, ramassés, prêts à bondir. Bertrand Redonnet maîtrise à merveille l’art de la chute, cette clef essentielle de la beauté d’une nouvelle. Je vous recommande d’être attentifs, notamment, à celle du texte intitulé Souricière : elle est brutale – comme si on avalait cul sec un verre de vodka polonaise à l’herbe de bison – puissante et, en même temps, elle laisse une porte ouverte au mystère. »