Coucher de soleil sur Brooklyn


Nous sommes tous victimes
de quelque chose,
ne fût-ce que d’être en vie.

Paul Auster

 

Paul Auster n’est certainement pas un écrivain réaliste, mais il est indéniable que ses livres sont très précisément situés dans un espace et un temps spécifiques et qu’il rend compte, à sa manière, de l’état des choses dans l’Amérique, je devrais dire les Etats-Unis, d’aujourd’hui. Il en est ainsi de son dernier livre paru, Sunset Park – qui vient de paraître en français chez Actes Sud. Il se situe en 2008, soit tout de suite dans l’impact de la fameuse crise des subprimes qui a amené le pays à la récession que l’on sait. Impact que tous ses personnages prennent de plein fouet.

 

J’emprunte le résumé du livre à Nicole Volle sur son blog Enfin livre !

« Taraudé par la culpabilité après la mort accidentelle de son demi-frère Bobby, Miles Heller a quitté sa famille, abandonné ses études, et travaille, en Floride, à débarrasser les maisons désertées par les victimes des subprimes. Amoureux de Pilar, une très jeune fille d’origine cubaine, Miles est passible de détournement de mineure, et obligé, encore une fois, de partir. Il trouve alors refuge à Brooklyn, où son fidèle ami Ring Nathan squatte une maison délabrée de Sunset Park, en compagnie de deux jeunes femmes. Alice, thésarde talentueuse et fauchée, et Ellen, une artiste peintre très émotive et inhibée, sont, elles aussi, condamnées à vivre en marge de la société par l’impossibilité d’exprimer ou de faire valoir leurs talents respectifs.  Désormais, Miles se trouve géographiquement plus proche de son père, éditeur new-yorkais indépendant qui tente de traverser la crise financière, de sauver sa maison d’édition et de préserver son couple. (NDLR : et proche aussi de sa mère, une actrice qui ose enfin se colleter à un vrai texte, Oh les beaux jours de Beckett.) Confronté à l’écroulement des certitudes de toute une génération, il (le père) n’attend qu’une occasion pour renouer avec son fils afin de panser des blessures dont il ignore qu’elles sont inguérissables… »

 

Le livre est construit sur l’alternance des points de vue des principaux personnages, s’ouvrant et se fermant avec Miles Heller, et comportant au centre une section importante consacrée à son père, Moris Heller. On retrouve bien sûr dans ce roman les thèmes obsessionnels d’Auster : hasard et coïncidences, identités et origines, échec, errance, perte de la capacité d’être au monde. Traumatisé, Miles se refuse à s’impliquer dans quoi que ce soit, subsiste d’un job alimentaire, mène une existence austère. C’est seulement avec la rencontre de l’amour qu’il reprend goût à la vie, et j’avoue partager quelque peu les réserves de la critique du New York Times : la petite amie, Pilar, est vraiment too much. Elle a tout, elle est belle, intelligente et même brillante, raisonnable, équilibrée, sensible mais solide, etc, etc. Auster est beaucoup plus efficace et à son aise quand il évoque le monde des laissés-pour-compte, des désillusionnés, des bancals, comme Alice qui travaille à sa thèse sur le film de William Wyler, Les plus belles années de notre vie (suggérant que ces années sont forcément derrière nous, ou peut-être encore à venir, en tout cas qu’on n’en est pas là) ou Ellen avec ses blocages et ses difficultés relationnelles (mais Ellen trouvera un happy end avec un amour de jeunesse retrouvé, là aussi, un cas de figure un peu trop beau pour être vrai). Bien plus crédible aussi le personnage du père, Morris Heller, éditeur découragé par la difficulté croissante à publier de vrais livres. Morris et son désespoir tranquille, Morris et ses conversations avec l’un des écrivains qu’il édite, Renzo, figure assez proche, comme le suggère Mark Lawson dans le Guardian, de celle de Philip Roth.

 

Rue de Sunset Park - photo Frank H. Jump

« Paul Auster agrège des solidarités, aménage un squat à New York, noue des liens d’amour, ravive des fidélités anciennes. Mais il suggère qu’il y a des guerres qu’on ne gagne jamais. » écrit Claire Devarrieux dans Libération. On laisse Miles sur un constat d’échec et la résolution de ne plus chercher à vivre que dans le moment présent. Que pourrions-nous faire d’autre ?

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