La liberté s’étend sur une vaste échelle et a
plus de facettes que le diamant.
Ernst Jünger
Bien évidemment, je suis loin d’avoir lu tous les grands auteurs que je pourrais, voudrais ou devrais avoir lus. Il en est ainsi d’Ernst Jünger que je viens de croiser au fil de recherches sur d’autres sujets. Je viens de lire son roman Eumeswil qui remonte à 1977 (1978 pour la traduction française), et si je mentionne cette date, c’est qu’elle a son importance.
En effet, Eumeswil se présente comme une sorte d’utopie évoquant un État-cité dirigé par un dictateur, le Condor, dont le narrateur, Manuel Venator, est le « steward » – quelque chose, en l’occurrence, entre l’échanson et l’intendant. En raison de ses fonctions, Manuel a accès à certaines technologies dont la consultation du « luminar ». La fonctionnalité de cet appareil se révèle au fil du récit, et on comprend peu à peu qu’il s’agit d’un outil jouant le rôle que remplissent de nos jours les moteurs de recherche sur Internet (il est même crédité d’une capacité d’intuition qui leur serait nettement supérieure). Or tout cela n’existait nullement à l’époque où Jünger écrivit ce roman…
Je ne suis certes pas la première à avoir remarqué cette invention à la manière de Jules Verne. « La multiplication des écrans, consultés le plus souvent sur un mode oraculaire, n’est pas sans nous rappeler que dans le roman Eumeswil d’Ernst Jünger, Internet y fut anticipé et préfiguré par le mot luminar », notait Christian Dubuis-Santini dans le Monde en 2009.
« L’appareil envoie les réponses dans le format demandé. (…) Voilà ce qu’est la transmission des textes et de leur combinaison. La tour de Babel a été démontée brique par brique, qu’on a numérotées, et est reconstruite. Un jeu de questions et de réponses mène jusque dans les étages, les pièces, les détails de son installation. Cela suffit à l’historien qui pratique l’histoire en tant que science. » Eumeswil, pp. 319 et 321
Cet élément particulier n’est bien sûr pas le seul intérêt du livre, où Jünger développe notamment sa théorie de l’anarque, celui qui « a banni la société de lui-même ». « L’anarque est, comme je l’ai exposé ailleurs, le pendant du monarque : souverain, comme celui-ci, et plus libre, n’étant pas contraint au règne. » Eumeswil, p. 164. Mais ceci est une autre histoire.
Merci Pour L’info
Saine(s) lecture(s)! 🙂
Et je me demande si les lecteurs d’aujourd’hui apprécient à sa juste valeur l’incongruité des personnages que Jünger fait déambuler le téléphone portable (pardon, le « phonophore ») collé à l’oreille… à une époque où les écrivains d’anticipation eux-même n’avaient pas encore anticipé cette innovation – encore à venir.
Très juste !