Un matin blême à Manhattan, un taxi s’arrête devant une porte, un homme, vêtu d’un imperméable, une valise à la main, en descend. On est en avril 1979 et c’est le cinéaste Wim Wenders, qui arrive chez son confrère Nicholas Ray pour tourner un film avec lui. Ray, les deux hommes le savent, est atteint d’un cancer incurable. A l’origine, le projet de film était un scénario de Ray sur un peintre âgé et malade, qui devait s’embarquer pour la Chine ; mais très vite, Wenders le convainc de se concentrer sur le moment présent, sur l’histoire vraie de ces dernières semaines, la vie quotidienne dans son appartement new-yorkais, ses séjours à l’hôpital, avec quelques sorties (notamment des conférences devant les élèves du chicos Vassar College), leurs discussions sur le cinéma. Ce film sera Nick’s Movie, ni un documentaire, ni un « biopic », mais une sorte de tentative désespérée pour cerner une vérité qui ne peut être qu’elliptique et mouvante, comme le suggère l’autre titre du film, Lightning over Water (un éclair sur l’eau).
Nicholas Ray, peut-être un peu oublié aujourd’hui à part des cinéphiles, est avec Elia Kazan l’un des initiateurs d’une nouvelle phase du cinéma hollywoodien après la 2e guerre mondiale. Ce nouveau cinéma consacre la figure de l’anti-héros : les personnages principaux sont des losers, des marginaux, des héros vieillissants ou fatigués, en décalage avec leur milieu ou leur époque. Nicholas Ray réalise ses films les plus célèbres dans les années 50 : Les Indomptables (The Lusty Men), Johnny Guitare (Johnny Guitar), La Fureur de vivre (Rebel Without a Cause). En 1977, Wenders lui avait donné dans son film L’Ami américain (d’après Ripley s’amuse de Patricia Highsmith) le rôle de Derwatt, le peintre faussaire sur le travail duquel Ripley monte son arnaque.
Le film est improvisé, bricolé, c’est sa faiblesse et sa force. Revient à plusieurs reprises l’image d’une jonque aux voiles bleues. « Slow Boat to China »…