Si l’assemblage d’arbres, de montagnes, d’eaux et de maisons,
que nous appelons un paysage, est beau, ce n’est pas par lui-même,
mais par moi, par ma grâce propre,
par l’idée ou le sentiment que j’y attache.
Baudelaire, Salon de 1859
Si le paysage est aujourd’hui un genre majeur de la peinture (évidemment figurative), il n’en a pas toujours été ainsi. Le mot paysage lui-même est d’apparition relativement récente, puisqu’il ne remonte qu’au 16e siècle ; pas plus l’Antiquité que le Moyen Age n’en avaient fait usage. La création de ce terme se situe dans le contexte de la peinture, ce qui montre bien que l’intervention d’un regard médiateur existe dès la naissance de cette notion. Alain Roger, en particulier, s’est attaché à définir ce regard à travers le concept de nature « artialisée » dû au philosophe Charles Lalo qui, au début du 20e siècle, avait emprunté le mot à Montaigne.
Durant tout le Moyen Âge chrétien, le tableau n’est conçu que comme œuvre divine et toute représentation fait référence à son créateur. Puis les primitifs italiens introduisent des éléments de paysage dans le fond des tableaux pour humaniser la représentation religieuse et rendre la scène reconnaissable par leurs spectateurs : le bleu est introduit dans les ciels (au lieu du fond doré) et les paysages bibliques sont inspirés de ceux de l’Italie. (Voir l’étude de Gilbert Croué)
À la Renaissance, le paysage d’abord perçu au travers du cadre des fenêtres dans les tableaux représentant des scènes intérieures va prendre une place de plus en plus importante, jusqu’à occuper toute la surface de la toile. Inversement, les personnages des scènes religieuses en extérieur vont rétrécir jusqu’à n’être presque plus symbolisés que par les éléments du paysage. De même, les titres des œuvres changent pour mettre en avant le terme de paysage en reléguant la scène représentée (prétexte du tableau) au second plan.
Le paysage pictural ne prend toutefois véritablement son essor qu’au XVIIe siècle, avec le développement du « collectionnisme » des classes dirigeantes en Europe. C’est à Rome, dans la première moitié du XVIIe siècle, que débute véritablement l’histoire de la peinture de paysage et c’est cette évolution que l’exposition du Grand Palais intitulée « Nature et idéal – Le paysage à Rome, 1600-1650 » vise à retracer. C’est en effet dans la capitale de la chrétienté que va naître et se développer cette nouvelle catégorie picturale, appelée à connaître un essor considérable. Le paysage est devenu une catégorie à part entière de l’histoire de la peinture : il en sera désormais indissociable.
« D’Annibal Carrache à Adam Elsheimer, de Pieter Paul Rubens à Paul Bril, de Claude Lorrain à Nicolas Poussin en passant par Gaspard Dughet, quelques-uns des plus grands peintres du XVIIe siècle vont contribuer à l’émergence du paysage. L’exposition entend montrer certaines de leurs créations les plus abouties, en illustrant leurs contributions à l’élaboration de différents types de représentations de la nature, des vues idéales de la campagne romaine aux marines, en passant par les caprices architecturaux et les scènes antiques chargées de nostalgie où alternent les mythes et l’histoire. » (extrait de la présentation)
L’exposition s’ouvre sur le Paysage fluvial (vers 1600 ???) d’Annibal Carracci dit Carrache, qui m’a irrésistiblement fait penser à Corot. Le premier étage, consacré aux œuvres de Claude Lorrain et de Nicolas Poussin, présente en effet une série de toiles où le paysage est déjà complètement maîtrisé. Beaucoup sont magnifiques, comme la Bacchanale à la joueuse de guitare de Poussin (1627) ou la Vue de la Crescenza de Claude Lorrain (1648). Mais le début de l’exposition, permettant à travers les œuvres de peintres moins connus, sinon mineurs, de déceler les progrès du paysage comme sujet, est tout à fait passionnant. Ainsi le tableau de Paoluccio Napoletano Paysage fluvial avec voyageurs est un des premiers à n’avoir de sujet ni mythologique, ni historique, ni biblique : c’est une scène de la vie quotidienne. Ou bien celui de Goffredo Wals intitulé Murs de Rome (1620), d’une composition très moderne avec ses pans de murs en premier plan. Une curiosité parmi toutes les œuvres de peintres italiens ou flamands, cette Vue du jardin de la villa Médicis à Rome (1629-30) de Velázquez – il est vrai qu’elle représente un paysage italien. Avec ses couleurs sobres, voire ternes, et le contraste entre le vert sombre des feuillages et le gris des planches fermant l’arcade, ce tableau surprend et intrigue.
Liens :
Présentation sur le site du Grand Palais
Site RMN dédié à l’exposition
Eléments tirés de ces deux sites et de la Wikipedia (article « le paysage en peinture »)
Source images
Poussin, Bacchanale à la joueuse de guitare, dit aussi La Grande Bacchanale : Flickr
Paul Bril, Paysage avec saint Jean-Baptiste : ministère de la Culture
Velázquez, Vue du jardin de la Villa Médicis à Rome : Tribune de l’Art
Carrache, Paysage fluvial :Patrimoine de France
merci pour ce petit reportage
Merci.
Une autre source documentaire : Naissance et renaissance du paysage, Michel Baridon, Actes Sud , 2006.
« Les mots d’une langue sont comme les visages d’une foule, foisonnants, perdus dans la masse, mais vivants. Quand l’œil de la mémoire passe sur eux, ils s’animent, ils s’éclairent, ils parlent, et certains plus que d’autres. Paysage est de ceux-là. Ses consonnes sont nettes, ses proportions bonnes, ses voyelles se marient bien, et sa finale en -age s’allongent aisément pour lui donner du souffle. Et du souffle, il en a besoin car il en a beaucoup à dire. ».
Ah ! Peut-être une introduction un peu … facile … mais jolie … Ouvrage très intéressant sur le paysage « occidental »!
Je cherche des références d’un ouvrage qui traiterait du paysage « oriental ».
Ellise
Merci pour cette référence Ellise !
En ce qui concerne le paysage oriental, je crois avoir lu quelque chose. Je reviendrai donc.
Je crois que c’était le livre d’Augustin Berque, Les raisons du paysage (éd. Hazan, 1995) – intéressant en tout cas…
Les raisons du paysage… beau titre ! Je m’intéresserai à ce livre. Merci Élisabeth !