Parmi les documents des siècles passés parvenus jusqu’à nous, il en existe une catégorie qui ne manque jamais de m’attirer, celle des codex mexicains. A cause de leur intérêt esthétique, mais aussi parce que ce sont des traces concrètes du processus qui a fait du Mexique, en l’occurrence, ce qu’il est de nos jours. Ainsi me suis-je précipitée à la conférence donnée le 26 avril à la galerie Colbert par Laurent Héricher, conservateur au département des manuscrits de la BNF, et José Contel, maître de conférences à l’Université de Toulouse-IRIEC, pour présenter une pièce rare appartenant à la BNF, le manuscrit portant la cote 385, le Codex Telleriano Remensis. Chose exceptionnelle, ce codex avait été autorisé à sortir des murailles de la BNF à cette occasion, et les auditeurs de la conférence ont pu le voir dans sa quasi-totalité en projection à l’écran, tandis que deux acolytes, dans l’ombre, tournaient avec précaution ses pages fragiles.
Le codex 385 fait partie de ceux que l’on appelle « coloniaux », par opposition à ceux qui remontent à la période préhispanique (les rares qui ont échappé aux autodafés des conquistadores ; on en connaît une quinzaine). Les codex coloniaux ont été réalisés par des artistes indigènes, les tlacuiloque (mot dérivé du nahuatl). Ils comprennent des représentations picturales accompagnées de commentaires en nahuatl et/ou en espagnol.
Réalisé dans les années 1550, le codex 385 a fait partie d’abord de la collection de l’archevêque de Reims, Charles Maurice Le Tellier (d’où le nom actuel donné à ce manuscrit), qui en a fait cadeau en 1700 au roi Louis XIV. Le document comprend aujourd’hui 50 pages ; mais on sait qu’il est incomplet, car le grand explorateur Alexandre de Humboldt en avait fait la description en 1810, et il comptait alors 96 pages. La reliure d’origine a également disparu. Le manuscrit est resté inachevé ; les dernières pages comportent des textes, mais les espaces délimités pour les illustrations n’ont pas été remplis. Le codex 385 est aussi un objet hybride, parce que composé de papier européen, fabriqué – ce que révèlent les filigranes – à Gênes ou à Perpignan autour de 1550, ce qui permet une datation approximative de l’ouvrage.
Le Codex Telleriano Remensis est composé de trois parties : le premier est un calendrier aztèque de type xiuhpohualli (« compte des années »). Ce calendrier comprenait 18 périodes de 20 jours, plus, pour compléter l’année, cinq jours « néfastes ». C’est là notamment que des pages manquent au manuscrit, celles qui auraient dû porter sur les six premières vingtaines. La deuxième partie est un calendrier divinatoire (tonalpohualli ou « compte des destins »). Celui-là comprenait 20 périodes de 13 jours, de sorte que les deux calendriers ne coïncidaient que tous les 52 ans, ce qui est la longueur du cycle temporel des Aztèques. La troisième partie (environ la moitié de la pagination) est constituée d’annales historiques des temps préhispaniques et coloniaux.
Les images – aux couleurs si fraîches – montrent notamment les fêtes correspondant à chaque date. (Détail touchant, les pages vierges portent des traces d’essais de plume gribouillés par les scribes…) Les commentaires en nahuatl expliquent ce dont il s’agit ; les gloses en castillan en font souvent une interprétation visant à « récupérer » les figures et les rites dans un sens chrétien. La première transcription de ces gloses fut effectuée en 1899 par Ernest Hamy, fondateur de la Société des Américanistes et du Musée d’Ethnographie du Trocadéro. Miracle d’Internet, on peut trouver et télécharger cette transcription sur le site de la FAMSI (Foundation for the Advancement of Mesoamerican Studies Inc.)
(Image Wikimedia Commons)