Avant de devenir des espaces publics, la plupart des grands musées d’Europe ont été des collections privées, constitués par des dynasties entières de rois et d’empereurs. La Pinacothèque de Paris – qui vient de s’agrandir en s’étendant de l’autre côté du carrefour (rue Vignon et rue de Sèze) – consacre une de ses expositions actuelles aux « trésors des Romanov », un ensemble d’une centaine d’œuvres du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. Il va de soi que cette sélection ne représente qu’une infime, minime, minuscule part de ce que possède ce musée, probablement le plus grand musée du monde. (Plus de 60 000 pièces y sont exposées dans un millier de salles tandis que près de 3 millions d’objets sont conservés dans les réserves.) J’ai visité l’Ermitage il y a fort longtemps, lorsque sa ville s’appelait encore Leningrad. J’avoue ne pas avoir de souvenir très précis des collections de peinture, mais plutôt de la vastitude (si j’ose dire) des salles et de la splendeur des objets précieux en lapis lazuli, malachite et autres tourmalines…
La grande Catherine fut l’un des principaux artisans de la collection de l’Ermitage. Elle enrichit les collections constituées par Pierre le Grand et fait construire les espaces dédiés à leur présentation : le Petit Ermitage, édifié à côté du Palais d’Hiver, puis le Grand ou Vieil Ermitage. A la fin du 18e siècle, la collection comptait déjà près de 4 000 œuvres.
« Catherine II s’appliqua à donner d’elle l’image d’une souveraine éclairée, fervente adepte des idées de Voltaire et Montesquieu et protectrice généreuse des arts. La création de la splendide galerie du palais servait on ne peut mieux cette image, tout en révélant les moyens financiers et les goûts raffinés de l’Impératrice. » (extrait du catalogue)
En l’espace de deux siècles, les Romanov ont ainsi élaboré l’une des plus belles collections du monde et construit un musée moderne, ouvert au grand public dès 1805. A la même époque, en France, Napoléon confie à Vivant Denon la direction du musée du Louvre et y instaure le principe du libre accès du public : « Les gens pouvaient entrer seulement le samedi et le dimanche de quatorze heures à seize heures. C’était peu, mais très insolite par rapport au passé », écrit Philippe Sollers dans son merveilleux livre sur Vivant Denon, Le Cavalier du Louvre.
Ce parcours à travers un choix des chefs-d’œuvre des collections de peinture occidentale des Romanov permet d’admirer les toiles de maître des écoles françaises (Chardin, Poussin, Greuze, Lancret…), italiennes (Garofalo, Titien, Francia, Bugiardini, Fetti…), hollandaises (Rubens, Jan Steen, Rembrandt, Ruysdael, Van Dyck, Metsu…) et espagnoles (Velasquez, Murillo, Ribalta…). Ce ne sont pas toujours des œuvres majeures, surtout en ce qui concerne les artistes italiens – bien que j’aie un faible pour la Marie-Madeleine pénitente de Vaccaro – mais les deux Rembrandt, magnifiques, vaudraient à eux seuls le déplacement. L’un est un portrait, dont malheureusement je n’ai pas noté le titre exact, et l’autre le David et Jonathan (1642) appelé aussi La Séparation de David et Jonathan. Je ne connaissais pas cette histoire qui se trouve dans les deux livres de Samuel de l’Ancien Testament. David, le héros du combat avec Goliath, était devenu l’ami de Jonathan, fils du roi Saül. Comme ce roi en voulait à la vie de David, Jonathan l’avait averti du danger qu’il courait. « Jonathan remit ses armes à son garçon, et lui dit : Va, porte-les à la ville. Après le départ du garçon, David se leva du côté du midi, puis se jeta le visage contre terre et se prosterna trois fois. Les deux amis s’embrassèrent et pleurèrent ensemble, David surtout fondit en larmes. » (Premier livre de Samuel, chapitre 20.) David et Jonathan étaient-ils plus qu’amis ? Leur nom a été donné à une association créée en 1972 « qui regroupe des homosexuel-le-s en recherche spirituelle ».
Dans un tout autre genre, j’ai admiré aussi le tableau de Granet, Le Chœur de la Chapelle des Capucins à Rome (1818). Le grand maître aixois a passé une vingtaine d’années à Rome et y a peint beaucoup de toiles représentant des intérieurs d’églises et de couvents. Celle-ci avec sa perspective incroyable me fait penser à des peintres hollandais plus anciens comme ceux de l’école de Delft. En sortant de l’exposition Romanov, on peut voir aussi maintenant plusieurs salles de la collection permanente de la Pinacothèque, pleines de merveilles. Par contre, à la suite de cette stupide embrouille au sujet de l’année du Mexique en France, on n’y verra pas les masques de jade mayas…
(Images Wikipedia)