Détresse humaine

 

Si l’auteur n’avait pas été Emmanuel Carrère, je suppose que je n’aurais pas voulu lire ce livre, D’autres vies que la mienne. Le sujet m’aurait semblé trop mélodramatique. Il arrive que la réalité dépasse la fiction : c’est par exemple quand elle concentre trop de malheurs en un point et un moment donnés ; pourtant on voit que la loi des séries, souvent, tristement s’applique.

Mais Carrère a une manière bien particulière de se colleter au réel, d’en faire la matière de son livre. C’est une question d’angle, de cadrage. Cette matière est à la fois une réalité qui le dépasse et une voie différente pour se dire. Dans Un roman russe, livre cathartique, Carrère disait déjà qu’il voulait désormais aller « vers le dehors, vers les autres, vers la vie ».

« A quelques mois d’intervalle, la vie m’a rendu témoin des deux événements qui me font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une jeune femme pour ses enfants et son mari. Quelqu’un m’a dit alors : tu es écrivain, pourquoi n’écris-tu pas notre histoire ? C’était une commande, je l’ai acceptée. C’est ainsi que je me suis retrouvé à raconter l’amitié entre un homme et une femme, tous deux rescapés d’un cancer, tous deux boiteux et tous deux juges, qui s’occupaient d’affaires de surendettement au tribunal d’instance de Vienne (Isère). Il est question dans ce livre de vie et de mort, de maladie, d’extrême pauvreté, de justice et surtout d’amour. Tout y est vrai. » (4e couverture)

Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas être bouleversé à la lecture de ce livre. Nul pathos, nulle complaisance, mais des détails qui ne s’inventent pas, et une justesse de ton constante. Il y est certes question de destins individuels tragiques, mais aussi de problèmes sociaux des plus actuels ; les pages sur le mécanisme du surendettement et la manière dont la justice traite ce type d’affaires sont absolument passionnantes.

Vu de l’extérieur, on pourrait se dire que ce thème secondaire n’a rien à voir avec le reste ; mais je crois que le rapport existe, c’est que tout ce qui est relaté dans ce livre se rapporte à la détresse humaine. Voilà qui est lourd, et pourtant on sort de ce roman avec un sentiment positif, d’abord parce que les êtres humains décrits sont magnifiques (Delphine ! Etienne !) et aussi parce que en contre-plan, le narrateur évoque discrètement son propre parcours, comment il travaille à se construire une nouvelle vie, après avoir échappé aux plus méchants de ses démons personnels.

On peut lire un très bon article au sujet de ce livre sur le site du Magazine Littéraire.

6 réflexions au sujet de « Détresse humaine »

    • C’est drôle moi je ne trouve pas ce titre égocentrique… et je ne saurais trop te recommander cette lecture, car c’est un livre généreux, plein de compassion, profondément humain.

  1. ton avis compte beaucoup ! c’est pourquoi je disais « pas encore lu », je le note dans ma « liste à lire » 🙂 j’espère qu’ils l’auront à la bibliothèque ici car je ne compte pas beaucoup acheter beaucoup de livres ici…+ 60% plus chers qu’en métropole !

  2. L’autre jour, une jeune femme dans le train terminait un livre de poche. Elle souriait et pleurait à la fois. Elle lisait D’autres vies… En la regardant lire, je me disais que finalement c’est l’histoire magnifique des deux juges qui m’avait le plus marquée dans ce livre.
    Pour moi, c’est un souvenir très fort de lecture de l’été 2009.

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