Pertes et profits

Bien souvent, la facilité me pousse à choisir, pour de nouvelles lectures, des livres d’un auteur que je connais déjà. C’est pourquoi il m’est particulièrement agréable de découvrir quelqu’un de (pour moi) entièrement nouveau, comme cela a été le cas, récemment, de Stéphane Audeguy, et maintenant de Vincent Delecroix.
Ce qui m’a attirée, vers ce livre, c’est d’abord le titre, Ce qui est perdu (Gallimard, paru en 2006 dans la Collection blanche, puis cette année en Folio). Le thème de la perte, de la disparition, du manque, ne peut que représenter une riche matière pour un roman ; tout dépend évidemment de la manière dont on la traite. J’ai beaucoup aimé celle de Vincent Delecroix.

Le résumé de la 4e de couverture donne une idée du contenu de ce livre.

Il existe plusieurs moyens de se remettre d’une rupture. Le meilleur, incontestablement, est d’écrire une biographie de Kierkegaard, un philosophe mélancolique qui n’eut qu’un seul amour, le perdit volontairement et ne cessa, dès lors, de lui parler à travers ses livres. On peut aussi conduire un minibus rempli de touristes danois. Ou aller chez le coiffeur, mais pas n’importe lequel : un coiffeur érudit, pudique, si possible peintre. Ou encore raconter des histoires pour conjurer la perte et se débarrasser des spectres.

En essayant de retrouver ce qui est perdu, on apprendra en outre : pourquoi il y a des épis de maïs grillés trop salés à la station La Chapelle (NDLR : une histoire particulièrement déchirante), comment un chat noir peut devenir blanc, comment égarer sa femme en forêt, comment on devient lanceur de javelot, pourquoi il est nécessaire de se faire couper les cheveux quand on a l’âme en peine, quelle conduite adopter quand on se jette de la tour Eiffel, pourquoi le Triton a finalement abandonné Agnès, pourquoi on écrit des livres, pourquoi un célibataire est nécessairement condamné à la ruine financière, ce qu’est la Loi Schéhérazade, et bien d’autres choses encore.

On entrevoit ainsi comment il procède : broder le fil apparent de la fantaisie, parler de choses légères pour dire des choses graves, suivre des digressions lointaines pour mieux se rapprocher des questions essentielles. « Tout vrai sentiment est en réalité intraduisible. L’exprimer c’est le trahir. Mais le traduire c’est le dissimuler. L’expression vraie cache ce qu’elle manifeste. », écrit Antonin Artaud dans Le Théâtre et son double[1].

Ce n’est pas par hasard si Vincent Delecroix a choisi de faire du narrateur (qui porte son nom) l’auteur d’une biographie de Kierkegaard. Agrégé de philosophie, il a lui-même publié deux livres consacrés au philosophe danois, « Post-scriptum aux Miettes philosophiques, Kierkegaard» (éd. Ellipses) et « Singulière philosophie : Essai sur Kierkegaard », (éd. du Félin).

« Comme chez Melville, le mouvement de la queue de la baleine à la surface de l’océan implique toute la masse énorme de la baleine – on cherche toujours ce genre de choses qui impliquent quelque chose d’autre au-delà », dit Thomas McGuane, dans une interview par Robert Birnbaum[2] sur les sources de son écriture. Mais de McGuane je parlerai une autre fois…


[1] Cité par Rick Moody dans Assises du roman : le roman hors frontières (Christian Bourgois, 2009)

[2] Disponible en VO sur le site Identity Theory

3 réflexions au sujet de « Pertes et profits »

  1. Bonjour,

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