Je suis allée hier à la Cinémathèque sur la foi du nom de Jean-Luc Godard, car je n’avais jamais entendu parler du film qui passait, Le Nouveau Monde. Après un court métrage de Truffaut, Antoine et Colette, au charme quelque peu suranné (le vouvoiement persistant des deux personnages m’a fait penser à Rohmer, que j’abomine…), le film de Godard commence. Nous sommes à Paris, au début des années 60, le film est en noir et blanc, les gens roulent en Dauphine. Sur les trottoirs, les passants s’arrêtent à chaque instant pour gober des cachets. Les personnages (interprétés par Jean-Marc Bory et Alexandra Stewart) parlent italien, aussi, ça me paraît bizarre sur le moment, mais bon… Que se passe-t-il ? Titres de journaux : « Enorme explosion atomique[1] au-dessus de Paris ».
« Bientôt la fin du monde. On avale des pilules pour soigner la panique. Un homme, parmi les autres, flippe à mort : la femme qu’il aime et qui l’a rendu jaloux lui paraît brusquement loin, très loin, étrangère. La fin de tout. » J.-L. Douin, Godard, Éd. Rivages, 1989. En effet, le personnage n’est pas du tout inquiet de la situation, mais très affecté par l’attitude incohérente de sa petite amie, qu’il s’évertue en vain à faire s’expliquer.
Alors que le « héros », en voix off, s’étonne d’être le seul, semble-t-il, à ne pas être atteint par la psychose collective, le film s’arrête (on est à 35 minutes du début), l’écran est barré par une inscription en italien du genre « fin de la 3e bobine ». Les lumières s’allument, tout le monde s’en va. Je suis désorientée : est-ce vraiment fini ? D’en douter, de n’en rien savoir, je me trouve stupide et j’en suis vexée. Plutôt que de poser la question et de me rendre ridicule, je vais consulter au tableau d’affichage la durée du film : 35 minutes. C’est donc bien la fin.
En rentrant, je recherche sur Internet, intriguée. La durée limitée du film s’explique par le fait qu’il faisait partie d’un film à sketches franco-italien, comme cela se faisait beaucoup à l’époque. Celui-ci s’intitule RoGoPaG, et son titre est constitué des premières lettres des noms de ses quatre réalisateurs : Rossellini, Godard, Pasolini et Gregoretti. (En fait, indique la Wikipedia, le sketch de Pasolini intitulé La Ricotta fut censuré en Italie pour « offense à la religion d’Etat ».) Film qui se révèle d’ailleurs introuvable, du moins en version sous-titrée. On ne trouve d’ailleurs sur la Toile que très peu de références au film de Godard, sauf pour indiquer qu’on le considère comme une préfiguration d’Alphaville qu’il devait réaliser deux ou trois ans plus tard.
Me voilà rassurée, à la fois, et penaude. Parce que je m’attendais à voir un long métrage qui faisait son heure et demie habituelle, je me suis trouvée déconcertée et j’ai failli passer à côté du film. Qui dit tout ce qu’il a à dire tel qu’il est.
[1] Note pour les moins de 40 ans. En ce temps-là on disait « atomique » là où aujourd’hui on dirait « nucléaire ».