Je ne sais pas vraiment (ce qui ne signifie pas la même chose que « Je ne sais vraiment pas »…) pourquoi l’œuvre d’un artiste tel que François Lunven me fascine à ce point, de cette manière involontaire et irrésistible. Sans doute y a-t-il là ce phénomène que Lunven lui-même disait vouloir susciter : d’une part l’horreur, de l’autre une attirance profonde – ce « couple de sentiments contraires et extrêmes » qu’il essayait « de faire surgir dans l’esprit du spectateur ».

François Lunven : Bomb-x-sex-tron, huile sur toile, juin 1971
Une dizaine de toiles et une dizaine de dessins de François Lunven, plus une belle série de gravures, sont actuellement exposés (jsuqu’au 17 octobre) à la galerie Alain Margaron, à Paris dans le Marais, dans le cadre d’une exposition conjointe Lunven/Réquichot. Un rapprochement que le propriétaire de la galerie – qui a déjà consacré plusieurs expos à l’œuvre de Lunven, depuis 1997 – explique ainsi :
« Tous les deux ont connu une carrière brève, fulgurante. Ils ont été remarqués très rapidement, non seulement par des acteurs importants du monde de l’art (Daniel Cordier ou bien Alfred Pacquement pour Réquichot, Claude Fournet pour Lunven ou encore Pierre Gaudibert qui a montré ses gravures au Musée d’art moderne de la ville de Paris en 1970), et également par des intellectuels de leur temps (par exemple Roland Barthes pour Réquichot, Bernard Noël pour Lunven). Ils ont interrompu brutalement leur vie en se défenestrant l’un et l’autre la veille d’une exposition. »
(Lunven est mort en 1971, à l’âge de 29 ans ; Réquichot dix ans plus tôt, à 32 ans.)

François Lunven : Sans Titre, crayon Wolf
Les analogies entre les deux peintres ne s’arrêtent pas aux données biographiques. Il y a quelque chose de commun dans leurs thématiques et leur manière de les traiter, quelque chose qui me semble (et là je me risque sur des terrains glissants…) se rapprocher de l’ « intériorisation subjective du monde » dont parle Christophe Bident à propos de Bernard-Marie Koltès. Ce monde qui se traduit chez Lunven par la naissance de créatures hybrides, issues des amours improbables des insectes et des machines, des êtres humains et des artefacts, de la chair et du métal ; des êtres à la fois imprécis, inachevés, et cependant rendus avec un luxe hyperréaliste de détails qui les impose avec force à notre imagination. Recompositions que Gérard Durozoi désigne sous le terme d’ « anagrammes anatomiques ». Dans les gravures, la précision du trait et son foisonnement contribuent à les rendre plus présents ; dans les huiles, c’est la couleur souvent brutale et éclatante qui nous conduit vers l’intérieur de cet univers.

François Lunven : Sans titre, huile sur toile, 1971
Dans le travail de Lunven, écrit Bernard Noël, « tout s’organise selon deux directions principales : l’anatomie et le combat. Ce dernier est partout sensible à cause d’une agressivité tournée tantôt vers le dehors (le spectateur), tantôt vers l’intérieur quand prédominent éclatements, blessures, greffes violentes. » Le texte de Bernard Noël décrit comment le travail de Lunven s’accomplit à la manière d’un « fourneau alchimique destiné à lui permettre de porter au ‘blanc’ (c’était son expression) ses capacités mentales ». Le parallèle avec l’œuvre de l’alchimiste étant d’autant plus juste que cette dernière a également pour but la transmutation de son auteur même à travers les diverses opérations effectuées.
toutes images : © galerie Alain Margaron
j’♥
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