Richard Dadd, le peintre parricide

Au hasard de mes flâneries sur le Web, un tableau aperçu me met sur la piste de Richard Dadd, peintre anglais de l’époque victorienne. Ce que je vois me plaît immédiatement. Mais les données sur cet artiste s’avèrent maigres, même sur les sites anglophones, jusqu’à ce que je trouve le site créé par Marc Desmarest, qui s’insurge justement contre ce manque d’informations et contre le fait que Dadd est rapidement catalogué comme peintre victorien mineur. On ajoute généralement aussi qu’il est devenu fou et a tué son père. Qu’en est-il donc ? (Je résume ci-dessous la notice rédigée par Desmarest, qui est nettement plus détaillée et comporte de nombreux liens).

Richard Dadd est né à Chatham, dans le Kent, en 1817. En 1834, sa famille s’installe à Londres, où son père travaille comme sculpteur dans une fonderie de bronze, et trois ans plus tard Dadd est admis comme élève à la Royal Academy. Là, il rencontre d’autres artistes : John Phillip, qui devait par la suite épouser sa sœur, William Powell Frith et quelques autres – Augustus Egg, Harry Nelson O’Neill, Alfred Elmore, Edward Matthew Ward, Thomas Joy et William Bell Scott – avec lesquels il forme un groupe appelé La Clique (The Clique).

Dadd remporte trois médailles d’argent et commence à exposer ses oeuvres à la British Artists’ Association dès sa première année d’études. Dès 1840-41, il travaille à des illustrations de Shakespeare, auteur qui le passionne dès son plus jeune âge, et il expose notamment la toile (peinture à l’huile) Come Unto These Yellow Sands (inspiré par la chanson d’Ariel dans La Tempête) en 1842. Il reçoit alors plusieurs commandes pour des travaux d’illustration.

Richard Dadd : Come Unto These Yello Sands

Richard Dadd : Come Unto These Yellow Sands

En juillet 1842, Richard Dadd accompagne son commanditaire, Sir Thomas Phillips, dans un “Grand Tour” (comme on disait alors, en français dans le texte) de l’Europe et du Moyen-Orient. Ils parcourent la vallée du Rhin, les lacs italiens, Venise et Bologne. D’Italie ils passent en Grèce et visitent Athènes, puis en Turquie : Smyrne et Constantinople, Bodrum, Rhodes, Chypre… puis Beyrouth, Tripoli et Damas, pour arriver, épuisés, à Jérusalem, au début de novembre 1842. Après une excursion à la Mer Morte, ils se rendent en Egypte et remontent la vallée du Nil jusqu’à Thèbes où ils parviennent juste avant Noël. C’est pendant cette période que Dadd commence à souffrir de maux de tête et de ce qu’on croit alors être des insolations.

Les deux voyageurs reviennent ensuite à Alexandrie, s’embarquent pour Malte et de là pour l’Italie. Dadd souffre alors d’hallucinations paranoïaques et se montre de plus en plus agressif à l’égard de Phillips. A Rome, il est saisi d’une pulsion incontrôlable le poussant à s’attaquer au Pape. A Paris, au printemps 1843, les symptômes de Dadd continuent de s’aggraver et fin mai, il quitte Sir Thomas Phillips et retourne seul à Londres.

Il semble que Dadd ait souffert d’une psychose maniaco-dépressive (ce qu’on appelle aujourd’hui “trouble bipolaire”). D’après ses propres notes, où il rapporte notamment qu’il entendait des voix, il semble que l’événement déclencheur d’une aggravation de ce trouble se soit produit pendant le voyage en Egypte, probablement dans la vallée du Nil, lorsque Dadd s’est trouvé devant des images du dieu Osiris. Dadd s’est alors persuadé qu’il était désigné par des puissances divines (Osiris en l’occurrence) pour combattre le démon, qui pouvait prendre toutes les formes qu’il voulait et s’incarner en toute personne. Un des frères de Dadd, George, présentait aussi des signes de maladie mentale. Le père de Richard, à son retour à Londres, l’emmène au St. Luke’s Hospital pour le faire examiner par le Dr Alexander Sutherland et celui-ci conclut que Richard Dadd n’est pas sain d’esprit.

Malgré ce diagnostic, Robert Dadd accompagne Richard à Cobham (dans le Kent) le 28 août 1843, déplacement au cours duquel Richard était censé « vider son sac ». Ils dînent dans une auberge et se promènent dans la campagne. Vers 23 heures, Dadd attaque son père avec un rasoir et un couteau et il le tue. Puis il quitte Cobham, se rend à Douvres et embarque dans un navire pour Calais.

A la découverte du corps de Robert Dadd, la police craint d’abord que Richard ait également été tué, mais après l’arrivée de son frère (qui le soupçonne immédiatement) sur la scène de crime, il est recherché comme suspect. La police inspecte son appartement de Newman Street et y trouve notamment des dessins des amis et connaissances de Dadd représentés avec la gorge tranchée.

Retenu à Calais par la douane, puis relâché, Richard se dirige vers Paris, trajet pendant lequel il tente de couper la gorge à un autre voyageur. Il est arrêté à Montereau, où il révèle son identité et avoue le meurtre de son père. On trouve sur lui une liste de personnes « devant mourir », son père figurant en tête de liste. Il est alors interné dans l’asile de Clermont, à Fontainebleau, où il reste jusqu’en juillet 1844. On le ramène ensuite en Angleterre ; il est jugé, plaide coupable et est condamné à perpétuité ; il est alors âgé de 27 ans.

Richard Dadd : The Fair Feller's Master-Stroke

Richard Dadd : The Fair Feller's Master-Stroke

Dadd est d’abord détenu à dans la section criminelle de l’hopital psychiatrique de Bethlem (dit aussi Bedlam) où il restera pendant vingt ans, jusqu’en 1864. Il peint beaucoup, réalisant notamment une de ses œuvres les plus connues, The Fair Feller’s Master-Stroke[1] (titre qui est aussi celui d’une chanson du groupe Queen). En juillet 1864, peut-être en raison du nombre excessif de patients détenus à Bedlam, Dadd est transféré dans un nouvel établissement qui vient de s’ouvrir à Broadmoor, hors de Londres. Il y restera jusqu’à sa mort au début de 1886, toujours occupé à peindre.

Ce qui fait de Dadd un artiste à part – indépendamment de ce destin peu banal – c’est son indépendance en tant que peintre, souligne Marc Desmarest, auteur du site consacré au peintre. « Contrairement à la plupart des peintres victoriens les plus connus, qui ont toujours cherché à concilier leurs objectifs artistiques avec le succès commercial, Dadd a peint, dans la majeure partie de sa carrière, exactement ce qu’il voulait peindre. J’ai écrit « ce qu’il voulait peindre », mais je devrais peut-être dire plutôt « ce qu’il était poussé à peindre ». En étudiant son travail chez Allderidge ou Greysmith (NDLR : auteurs d’ouvrages sur Dadd), tout observateur sensible est frappé par des éléments récurrents qui ne sont pas seulement ‘bizarres et troublants’ mais indicatifs de fortes compulsions.

Dadd peignait pour lui-même. Il n’avait pas d’audience, pas de fidèles, pas de mécènes, et très peu de contacts, pendant l’essentiel de sa vie d’adulte, avec la communauté intellectuelle (la plupart des gens détenus à Broadmoor à son époque ne savaient ni lire ni écrire), pourtant il a poursuivi sa production artistique pendant toute cette période. Finalement », conclut Desmarest, « ce que Dadd nous apporte, en plus du plaisir de voir l’oeuvre d’un bon peintre et illustrateur, c’est un corpus de travail incomparable pour réfléchir au besoin qui se trouve au coeur même de l’art. »

Richard Dadd : Crazy Jane (détail)

Richard Dadd : Crazy Jane (détail)

Images provenant du site de Marc Desmarest (qui, malgré son nom français, est Américain).


[1] Ce tableau se trouve maintenant à la Tate Gallery de Londres.

2 réflexions au sujet de « Richard Dadd, le peintre parricide »

  1. une destinée hors du commun pour un peintre dont je n’avais jamais entendu parler.

    Pour « rebondir » sur ta première phrase :
    « Au hasard de mes flâneries sur le Web, un tableau aperçu me met sur la piste de Richard Dadd », je t’avoue que moi aussi je « chasse » souvent sur le web, et souvent, c’est depuis ici que la piste part 🙂

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