Paradisiaque

« … Mais déjà il tournait mon désir et mon vouloir
tout comme roue également poussée,
l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles. »
Dante, Paradis, chant XXXIII

On peut sans doute, on peut sûrement reprocher beaucoup de choses à Philippe Sollers, mais pas d’être inconstant dans ses affections. Voici plus de quarante ans qu’il nous parle de Dante, encore et encore – peut-être parce que « on ne sacrifie jamais trop à une cause perdue ». C’est à l’automne de l’année 1965 que Philippe Sollers publie son premier essai sur le grand Italien avec Dante et la traversée de l’écriture, paru dans le  numéro 23 de Tel Quel. Il y eut ensuite, et entre autres, le roman Le Cœur Absolu, en 1987, et un livre d’entretiens avec Benoît Chantre sur La Divine Comédie,  paru en 2000.

photo7bernardins

« Dante est une vieille obsession, je le lis depuis longtemps, je me suis familiarisé avec l’italien pour l’entendre, je cherche partout ses traces (…). Aucun écrivain (mais c’est beaucoup plus qu’un écrivain) ne m’aura autant retenu, attiré, réattiré à travers le temps, au point que je suis conduit à imaginer que je vis sous sa protection, ou plutôt sa grâce. » (Ph. Sollers, Un vrai roman, ajout réalisé le 28 juillet 09.)

Le 1er juillet 2009, par une chaleur démente, Sollers intervenait au Collège des Bernardins sur le thème : « Le catholicisme de Dante ». Sujet en or pour ce qui se veut « un lieu de recherche et de débat pour l’Eglise et pour la société ».

Dans l’auditorium des Bernardins, sous les combles, l’orateur avait sur sa table une rose blanche que, selon un rituel mystérieux, une jeune femme en robe rouge est venue plusieurs fois déplacer. Je me suis demandé si ce n’était pas Sollers lui-même qui avait suggéré la présence de cette fleur, quand il a cité le chant XXXIII du Paradis,  avec comme « terme fixe d’un éternel dessein » la Vierge Marie, rose blanche, révélation de la Trinité…

Bronzino : Portrait allégorique de Dante - vers 1530 - National Gallery of Art, Washington

Bronzino : Portrait allégorique de Dante - vers 1530 - National Gallery of Art, Washington

En fait, le sujet traité a plutôt été le catholicisme de Sollers à travers l’intercession de Dante. Dante aura pu être à Sollers ce que Virgile fut à Dante ! Dante, lu à quinze ans, lu et relu, une expérience intérieure, « une expérience qui doit révéler le chemin que nous menons, de l’enfer, qui n’est que trop évident, au paradis que personne ne veut savoir ». Le paradis, nous y voilà ! s’il fallait trouver une cohérence, elle est bien là ! « Tous mes livres, dit Philippe Sollers, sont consacrés – sous des angles divergents – au paradis, et on y trouve toujours la trace de Dante », avec sa splendide langue italienne : « inutile de lire Dante si on ne voit pas qu’il faut que ça chante ! » Et pour Sollers cela chante depuis longtemps, avec son départ pour l’Italie au début des années 60, à Florence, « un éblouissement d’architecture et de musique ».

Le Paradis terrestre, Peinture de Wilson Bigaud (1951). Musée d'art haïtien.

Le Paradis terrestre, Peinture de Wilson Bigaud (1951). Musée d'art haïtien.

Eblouissement auquel il nous convie ensuite à travers un petit film, « Vers Dante »,  réalisé par Georgi K. Galabov et Sophie Zhang, et qui glorifie les « évangélistes »[1] sollersiens, à l’œuvre à Florence, à Rome, à Venise : ce sont Bach, Monteverdi, Haydn… et Giotto, le Titien, le Bernin… (la « Gloire du saint Esprit » du Bernin à St Pierre de Rome).

Voilà qui éclaire un peu les choses. Franchement, en effet, je me suis souvent demandé pourquoi Sollers proclame avec tant de panache son catholicisme. Comme Sollers parle beaucoup (trop, diront sûrement certains…), il s’en est fréquemment expliqué. Exemple : dans l’article « Pourquoi je suis catholique » sur le site « Sur et autour de Sollers » :
« Si la liturgie et l’atmosphère qui règne dans les églises sont si importantes pour moi, c’est que l’esthétique joue un rôle capital dans cette religion. Dans notre culture, la peinture, la sculpture, la musique sont d’origine catholique. J’ai besoin de ces révélations physiques, sensuelles, corporelles. C’est pour cette raison que les autres religions ne pourraient pas me convenir : elles n’offrent pas un tel choix esthétique. Je suis, par exemple, très content de savoir qu’un pape allemand joue du Mozart, presque chaque jour, pour se délasser. » On n’est pas loin de Cioran (dans ses Syllogismes de l’amertume) :« S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu. »

Saint-Just – relayé par Roger Vailland – disait que le bonheur est une idée neuve en Europe. Sollers, même combat… Il y a quelques mois, dans un dossier du Nouvel Obs :« On vous parle beaucoup, et mal, du retour des religions, ou encore des mystiques. Mais le voyage de Dante, lui, est initiatique, il se veut, et il est, progression vers la connaissance (c’est-à-dire la gnose). C’est une expérience historique et physique, une exploration des racines du temps. Le 14 avril 1300, soudain, est plus proche de nous que la confusion mondialisée du début du XXIe siècle. Au lendemain de tant de catastrophes, le bonheur du paradis est une idée neuve sur la planète. On ne veut pas le savoir ? On préfère ses petits enfers ? »

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Source  images :

Collège des Bernardins

Tableau de Bronzino

Le Paradis terrestre


[1] N’oublions pas que ce terme désigne « celui qui annonce une bonne nouvelle »…

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PS ajouté le 4 août
On peut lire un compte-rendu bien plus détaillé, et comprenant de nombreuses citations, sur le site « pileface », sur et autour de Sollers : « Un soir au collège des Bernardins en compagnie de Sollers et Dante« .

2 réflexions au sujet de « Paradisiaque »

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