L’un des endroits au monde qui m’ait donné l’impression la plus puissante et la plus originale est assurément l’un de ceux où j’ai passé le moins de temps, quelques heures tout au plus.
Cela se passait au sultanat d’Oman, et les raisons pour lesquelles j’y étais n’ont rien à voir avec mon propos. Après avoir séjourné à Mascate, la capitale, mélange hétérogène de technologie contemporaine et de traditions moyennâgeuses (ô la beauté des hommes omanis avec leur poignard à la ceinture !), nous sommes allés en excursion de deux jours dans le centre du pays, visitant notamment la forteresse de Jabrin. Nous avons fait plusieurs haltes, dont l’une surtout m’a laissé une marque durable.
La route traversait des montagnes arides de roches rouges, déchiquetées, brutales. Il me semblait me trouver dans un paysage de commencement du monde, quand rien de l’univers des humains n’était encore advenu. A coup sûr, à des kilomètres à la ronde, il n’y avait pas une maison, pas un chemin, pas une seule trace des nombreux artefacts dont les êtres humains parsèment leur passage. Il suffisait de quelques minutes, en contournant les premiers rochers, pour perdre de vue la route et aboutir au beau milieu de nulle part, et ces rochers rouges me donnaient l’image d’une autre planète, qui aurait pu évidemment être Mars. On pouvait facilement se faire peur, se donner le vertige d’une plongée dans l’inconnu, à peu de frais puisqu’en quelques instants on retrouvait la route et la sécurité du véhicule climatisé ronronnant comme un animal docile.
Ce paysage primitif, premier, cette nature qui n’avait pas besoin de nous les hommes et même pas de le montrer, sont restés depuis avec moi, et il arrive qu’ils me visitent en rêve.
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photo Richard Soberka – image Photoway